LES TOILES ROMAINES D'ALMA TADEMA

Sans doute l'oeuvre la plus connue de Sir Alma Tadema, peintre de la seconde moitié du XIXème siècle. Fou d'antiquité romaine, il peignît des dizaines de toiles sur ce sujet.
Ce tableau s'inspire de faits présentés comme réels par de nombreux auteurs romains : Héliogabale, l'empereur fou, avait pour lubie ou caprice d'ensevelir et de faire périr étouffé certains de ses invités sous des tonnes de pétales de roses, lors de ses dîners au palais impérial. Les milliers de pétales étaient stokés dans un faux plafond et se déversaient sur les invités à l'ouverture des trappes. C'est la scène représentée ici.

Le tableau est en fait à double sens : dans l'Angleterre victorienne, assez pudibonde, la rose était le symbole de la volupté, du plaisir. Elle s'accorde ici avec l'image d'un empereur fastueux et décadent, amoureux de tous les plaisirs, de toutes les voluptés. A noter que l'artiste s'est représenté sur sa toile, l'homme en vert, en bas à gauche du tableau.

Le succès du tableau vient surtout du personnage d'Héliogabale : l'empereur-fou fût un sujet très étudié dans l'Angleterre victorienne, l'incarnation de la décadence, du plaisir, des excès... Il est vrai qu'il avait de quoi faire : complètement fou, littéralement obsédé, il vécut dans un luxe et un faste outrancier, donnant des fêtes fastueuses, répandant l'or à pleines poignées, se prenant pour un dieu vivant. Ouvertement bisexuel, il racolait les gardes impériaux la nuit, dans les couloirs du palais et voulait épouser la Grande Vestale pour en avoir des enfants divins...
Héliogabale, pour les "décadents" de l'époque victorienne, c'est le sexe, l'orgie, le plaisir, la volupté comblée en s'affranchissant de toutes les règles. Avec ses marbres colorés, ses roses tombant en une pluie sensuelle, ses fleurs, Alma Tadema signe une ode au plaisir sans frein. Les symboles ne manquent d'ailleurs pas : la femme allongée à droite et qui nous regarde tient dans sa main une grenade, fruit symbolisant la passion et le plaisir. Dans le fond au centre, la statue représente Bacchus ivre s'appuyant sur son jeune amant, allusion aux goûts sexuels de l'empereur. Enfin, la rose symbolisant la volupté et le plaisir, la pluie de pétales inondant les invités fût assimilée par certains à une copulation de masse, une orgie.

Cette grande toile, l'une des dernières grandes compositions d'Alma Tadema, représente un charmant tableau d'une famille beaucoup moins charmante...
On y voit effectivement la famille de l'empereur Septime Sévère assistant aux jeux, au Colisée, depuis la loge impériale. On y voit au centre, en rouge, l'empereur avec l'impératrice Julia Domna, assise à ses côtés en vert et semblant nous regarder. Le personnage en retrait et mélancoliquement appuyé à une colonne est Caracalla, héritier et futur empereur. Le jeune homme debout à l'avant de la loge, les mains dans le dos, est son cadet, Geta.
Une famille unie qui ne le restera pas longtemps... A la mort de l'empereur, la haine qui couvait entre les deux frères éclate au grand jour et Caracalla fera assassiner son frère, se mêlant à ses assassins, alors que Geta s'est réfugié dans les bras de leur mère ! Caracalla règnera en s'occupant des affaires militaires, laissant la politique à sa mère, intelligente et respectée, qui sera alors une impératrice-mère toute puissante. Caracalla assassiné à son tour, Julia Domna selon les versions décèdera d'un cancer du sein ou se laissera mourir de faim.

Une autre toile de ce peintre qui compte parmis mes préférés. Réalisé dans les dernières années de sa vie, vers 1904, The finding of Moses (la découverte de Moïse) est une grande toile inspiré du célèbre épisode biblique : pour sauver son fils du massacre des premiers-nés d'Israël ordonné par le Pharaon, une mère abandonne au Nil un couffin contenant son fils. Le couffin sera découvert par la fille du Pharaon, en mal d'enfant. La princesse décide d'adopter le bébé et lui donne le nom de Moïse, "sauvé des eaux".
Le tableau relate le retour de la princesse au palais, accompagnée de celui qui est désormais son fils. Dans une toile lumineuse, aux doux tons de bleu, de blanc et de rose, on voit la princesse jeter un regard et un sourire heureux, du haut de sa litière, sur le nouveau-né dans son couffin, porté par deux fidèles servantes.
Cette oeuvre, estimée à 5 millions de dollars, a été vendue aux enchères chez Sothesby's, en novembre 2010, pour plus de 35 millions de dollars.

Je trouve que c'est toujours triste de voir un tableau aussi joli partir aux enchères...

Pour moi sa place est dans un musée, ça reste une oeuvre d'art donc tout le monde devrait avoir la chance de pouvoir l'admirer.

Alma Tadema est très prisé des collectionneurs. La majorité de ses toiles fait partie de collections privées. Pour cette dernière, la "lutte" a d'abord eu lieu entre sept à huit acheteurs, le tableau montant directement à 9 millions ! Puis les enchères ont continué à trois, en montant jusqu'à 23 millions, jusqu'à l'acquisition finale pour 35, 922 millions de dollars. C'est un record pour un tableau de cet artiste à ce jour.

Oui c'est vraiment bien vu ces interprétations : c'est assez ludique et instructif de prendre le temps de décortiquer un tableau de la sorte.
Les principaux protagonistes sont très rapprochés ce qui renforce l'impression de "chaise musicale", ou que plusieurs sont "de trop". D'ailleurs les visages de Caracalla, Julia Domna, et Geta forment un triangle, d'où est exclus celui de l'empereur : comme il est déjà éloigné du centre "stratégique" du tableau, cela le met de côté encore plus.
Finalement Julia Domna et Caracalla, les deux futurs survivants, regardent dans la même direction, vers nous.
On en oublierait presque les centaines de spectateurs qui ignorent ce qui se trame, témoins aveugles d'un futur crime.
Enfin, je ne sais pas si c'est voulu (mais c'est cela aussi qui est ludique avec l'interprétation de tableau), mais les quatre colonnes en apparence solides, symbole d'un pouvoir stable "gravé dans le marbre", représentent pour moi les quatre protagonistes principaux, la voûte du pouvoir : Caracalla, Geta, l'Empereur et Julia Domna. Il devient alors très ironique de constater que les colonnes sont reliées par les guirlandes de fleurs, symbolisant les liens familiaux et l'harmonie. Les fleurs sont fragiles et fanent vite...

Impossible de savoir qui est la femme au bras de Geta : pas sa soeur, les deux frères n'en ayant pas. Sa femme peut-être ? Mais si Caracalla fût marié à une certaine Plautille semble-t-il, nul trace d'un mariage pour son frère. Ce doit être une proche pourtant, pour avoir ce geste si familier.
A noter que Caracalla fût déjà soupçonné d'avoir voulu hâter la fin de son père, quelques temps avant la mort de ce dernier...

Une nouvelle toile assez sensuelle de Lawrence Alma Tadema. Datant de 1881, The Tepidarium fait référence à la salle du même nom dans les thermes romains, salle tiède, intermédiaire entre le caldarium (bain chaud) ou même le sudatorium (bain de vapeur) et le frigidarium (bain froid).

Nous voici donc, un peu voyeurs, dans la partie des bains réservée aux femmes, dans leur tépidarium. La belle baigneuse se repose sur une couchette de marbre, sans doute après la vapeur du sudatorium. Si sa peau est claire (comme on peut le penser après un bain de vapeur), son visage offre des joues rosies, comme échauffées par cette même vapeur.
Mais ce que l'on remarque, c'est surtout cet air alangui, presque épuisé : la belle semble au bord du sommeil, comme épuisée après son bain, sa main gauche semble à peine pouvoir tenir son éventail (suffisamment toutefois pour cacher son sexe, époque victorienne oblige...). Une image très sensuelle donc que cette belle nageuse alanguie et à demi endormie.

Mais une image très érotique également... Hé oui, grâce au strigile que la belle tient dans sa main droite. Le strigile était un ustentile courant au bain, une sorte de racloir recourbé en métal avec lequel on se frottait pour enlever impuretés et sueur. On notera donc ce strigile rigide, dressé, juste à la verticale du sexe de la belle... Une allusion du peintre aux "débordements" que connaissaient certains thermes où hommes et femmes se retrouvaient au sortir du bain pour faire autre chose que se baigner ? N'oublions pas que jusqu'à un ordre impérial de l'empereur Hadrien, hommes et femmes se baignaient nu(e)s et souvent ensemble et que dans certains établissements, cela finissait parfois en une joyeuse orgie...
Du coup, notre belle alanguie, le corps offert et le regard tourné vers ce strigile dressé, nous adresserait-elle une invitation à la rejoindre ?
A l'époque en tous cas, le tableau dérangea, moins pour la nudité offerte que pour cet aspect sexuel suggéré, ce double sens que les contemporains avaient, semble-t-il, saisi au premier coup d'oeil...

Très sensuel ce tableau, on a l'impression en regardant cette peinture et son visage que la femme vient de faire l'amour, ou qu'elle s'est adonnée à un plaisir solitaire. Le tableau est très suggestif, il est clair qu'on a envie de la rejoindre, que du moins c'est une belle invitation à l'amour et au corps de la femme.

Voyageur Solitaire a écrit:

A l'époque en tous cas, le tableau dérangea, moins pour la nudité offerte que pour cet aspect sexuel suggéré, ce double sens que les contemporains avaient, semble-t-il, saisi au premier coup d'oeil...

Sans ton explication j'aurais pas compris la nature de ce qu'elle tenait en main qui m'a immédiatement fait penser a un gode.
J'avais un peu la même attitude relaxée après les bains au Japon. (Sans ce coté sensuel, je m'écroulais dans le futon comme une merde !)

Soyons francs : sur cette toile, le fameux strigile peut quand-même faire fortement penser, effectivement, à un godemiché... Et on ne sait pas trop si la belle a les yeux clos ou si elle le regarde...
Les fleurs rouges et la peau de bête ne sont pas choisies au hasard non plus. Les peintres de l'époque contournaient volontiers la censure par des allusions cachées, surtout avec les fleurs et les fruits. Comme on l'a vu avec Les roses d'Eliogabale du même Alma Tadema, une pluie de pétales de roses évoquait une forte sensualité, la grenade, fruit pulpeux, de couleur rouge et aux grains nombreux, symbolisait le sexe et la fécondité, la pêche et l'abricot avaient une symbolique sexuelle très forte également.

Très belle peau de bête. Mais pas que... ;-)
Un tableau érotique qui sort de l'ordinaire, on retrouve la même virtuosité que dans ses autres tableaux. Et peut-être la même impression d'un tableau un peu surchargé quand même... ou alors, c'est le bain étouffant qui fait son effet.

Deux nouvelles toiles d'Alma Tadema :




La poétesse Sappho, que Platon surnommait "la dixième muse", avait créé sur son île de Lesbos un pensionnat où elle enseignait aux jeune femmes de la noblesse les arts et l'éducation qui feraient d'elles de bonnes épouses et mères. Très attachées à ses pensionnaires, les citant dans ses poèmes, Sappho devînt malgré elle au fil du temps l'égérie de l'amour entre femmes, nommé lesbianisme ou saphisme en référence à son île ou à son nom. A Athènes plus tard, certaines comédies donnèrent d'elle l'image d'une libertine chasseuse de femmes. Rien ne prouve qu'elle aimât les femmes mais l'image est restée.

Ici, la poétesse est représentée à gauche, pieds nus, attentive et appuyée à un lutrin. Elle écoute le poète Alcaeus qui récite un poème, s'accompagnant à la cithare. Sur le lutrin est posée une couronne de lauriers qui, certainement, récompensera l'artiste à la fin de sa prestation. A côté de Sappho se tient une Koré, jeune fille, un bras passé sur l'épaule de la poétesse. Derrière elles, d'autres pensionnaires écoutent attentivement ou de façon rêveuse, le tout sur fond de mer et de ciel bleu évoquant une île, Lesbos certainement.



Soucieux d'authenticité, Alma Tadema a inclus de nombreux détails historiques dans sa toile, bien que mélangeant les époques. Ainsi, les gradins de marbre blanc sont copiés sur ceux du théâtre de Dionysos à Athènes. Réservés aux dignitaires, ils portent le nom de leur destinataires incisé dans le marbre (ici, le peintre les a remplacés par les noms des pensionnaires de Sappho). La Koré est copiée sur une statue archaïque représentant une jeune fille grecque et la tête de Sappho est inspirée d'un buste romain. Si Alma Tadema a inscrit les noms des pensionnaires sur les sièges, il l'a fait en grec archaïque, ce qui ne correspond pas à l'époque classique durant laquelle vivait Sappho. Les figures peintes sur la cithare sont copiées sur celles d'un vase grec exposé au British Museum. Alma Tadema tenait donc à faire authentique mais n'hésitait pas à mélanger époques et influences.




Sous les dehors d'une scène banale, le peintre a-t-il fait allusion à la légende de Sappho ? Possible.
Au XIXème siècle, le mythe de Sappho, la poétesse qui aimait les femmes, était très populaire dans les arts. Ici, les femmes sont regroupées dans un coin du tableau, en opposition avec l'homme, seul, isolé. Alors que Sappho est penchée en avant, Alcaeus est dans une pose assez stricte, jambes repliées et pieds croisés sous sa chaise. Il y a aussi cette jeune fille qui a son bras posé sur les épaules de sa maîtresse. Et les noms féminins incisés dans le marbre des gradins proviendraient de poèmes écrits par Sappho à plusieurs jeunes femmes, source de la légende faisant d'elle une femme aimant les femmes.
L'air de rien, l'artiste aurait donc bien proposé ici une (discrète) allusion au "mythe" de Sappho.




Un tableau qui représente Paula, une riche patricienne romaine, écoutant le futur saint-Jérôme lui expliquant la foi chrétienne. La belle romaine est nonchalamment allongée sur un banc de marbre, entourée de vigne, sur un fond de ciel bleu et de mer évoquant peut-être une île.


C'est clairement le message du tableau.
Les deux personnages sont en opposition : Paula est presque allongée, dans une pose nonchalante tandis que Jérôme est assis de façon stricte, verticale, bien droit et les jambes serrées, position renforcée par sa main et son index dressés. Si la pose de Paula est nonchalante, elle est aussi inconfortable, fragile : elle doit s'appuyer du bras sur le siège pour ne pas tomber. L'allusion est claire : la belle païenne est prête à tomber, à basculer vers la foi chrétienne.
Le décor est également primordial.
Paula est richement vêtue et parée, elle est assise sur une peau de panthère. Autour d'elle, c'est une profusion de vigne, symbole du vin, de l'ivresse. On voit derrière elle une aiguière en argent contenant certainement du vin. Au sol, parmi des fleurs, on voit un tyrse, ce bâton que portaient les ménades, ces femmes ivres, en transe, qui escortaient Dionysos, dieu du vin et du plaisir, dans ses déplacements. Des femmes libres qui chantaient et dansaient en l'honneur du dieu libérateur. Tout le personnage de Paula et le décor qui l'entoure évoquent donc le paganisme, la sensualité, la richesse, le plaisir.


Ambiance toute différente du côté de Jérôme.
Les vignes de la pergola disparaissent progressivement pour laisser place à un décor très simple, le bleu de la mer et surtout du ciel. Et avec au loin une île qui pourrait symboliser la Terre Promise par l'enseignement du futur saint. Ce dernier montre le ciel de son index, assis sur un banc aux lignes sobres et nettes, sans fioritures. Sa tenue le couvre entièrement, ne laissant paraître que ses mains et sa tête.


Le tableau, dans sa composition comme son décor, évoque donc deux mondes opposés, paganisme et christianisme. Le titre est clair : la belle païenne finira par renoncer à ses dieux, à ses richesses, pour se convertir au dieu unique.