CHARLES R. SAUNDERS

Né aux USA en 1946 dans une petite ville de Pensylvannie, cet auteur et journaliste noir a été naturalisé canadien en 1975. C'est vers la fin des années 1970 qu'il commence à écrire dans l'Heroic Fantasy, en l'abordant de manière originale, à travers l'Afrique, son folklore et ses mythes. Après un long séjour à Toronto et Ottawa, Saunders s'est établi à Nova Scotia où se trouve une forte communauté afro-américaine, ayant fui autrefois les USA après avoir pris parti pour les anglais durant la Guerre d'Indépendance Américaine.
Saunders a débuté ses écrits en 1974, avec une série de courtes histoires publiées dans le magazine Dark Fantasy. On y trouve l'ébauche de son oeuvre majeure, Imaro, histoire d'un guerrier africain vivant à l'aube des premières civilisations africaines. Une histoire qui séduit Lin Carter qui l'inclut dans son Year's best Fantasy Stories. Du coup, la maison d'édition Dawn incite Sauders à développer son personnage et à en faire un cycle (dont je ferai prochainement la critique). Le succès est au rendez-vous, Saunders est surnommé "le diamant noir de la Fantasy" et les critiques citent Rider Haggard et Howard à propos de son style.


Cet auteur prolifique a également écrit pas moins de 35 récits de 1975 à 1988 ainsi que 14 essais, traitant du racisme, du bestiaire africain ou de la mythologie du continent noir ou encore de l'Heroic Fantasy sans oublier les récits consacrés à la communauté noire de Nova Scotia.

Si Saunders décrit son héros Imaro comme "le noir qui botte le cul de Tarzan", ses fans parlent plutôt à son sujet du "Conan noir". Ils ne croient pas si bien dire…

1966. Deux géants dominent la Fantasy de l'époque : Tolkien, en pleine gloire et Howard qui connaît une véritable renaissance, grâce au formidable travail de Lin Carter et Sprague de Camp sur Conan, aidés par les illustrations épiques d'un jeune illustrateur, Frank Frazetta. Saunders découvre les deux maîtres mais abandonne rapidement les elfes et hobbits du second pour se consacrer à l'œuvre du texan.
"A la seconde où je commençai à lire ses œuvres, je fus happé, littéralement happé ! C'est Howard qui m'a donné envie d'écrire et il aura toujours une place spéciale dans mon cœur".

Comme Howard a créé de toutes pièces son Age Hyborien, laissant son imagination broder sur un fond historique, mêlant imaginaire et civilisations ayant réellement existé, Saunders va créer son monde en faisant de même. Il donne ainsi naissance au Nyumbani, continent où vivent tribus, peuples et civilisations inspirés par les grands royaumes africains, imposant un univers inhabituel, une Afrique Fantasy et fantasmée où l'homme noir tient la première place. Bien loin du rôle que le genre lui réservait jusqu'ici, le plus souvent la caricature du sauvage primitif et féroce. Comme Howard, Saunders mêle réalité et imaginaire, même si la "jointure" est plus évidente chez lui, il le reconnaît lui-même : "J'ai utilisé bien trop de noms de la véritable Afrique dans mes histoires". Mais le processus créatif est clairement inspiré de l'univers hyborien du maître de Cross Plains. Pour l'anecdote, le second recueil des aventures d'Imaro sera illustré par James Gurney, le créateur de Dinotopia que nous avons déjà croisé ici et là sur ce forum.



Mais si Imaro est semblable en bien des points à Conan, il en diffère beaucoup également et ce grâce à l'influence d'un autre auteur, Karl Edward Wagner.
Ce dernier est le créateur de Kane, héros Fantasy qui, avec Elric de Ménilboné, marque un tournant du genre. Guerrier redoutable et farouche, Kane n'en est pas moins un érudit et philosophe, féru d'occultisme et de questionnement, aussi prompt à dégainer l'épée que discourir avec les érudits. Il marque l'arrivée de héros moins bruts, moins monolithiques, à la personnalité plus riche et plus complexe.
Hors, à cette époque, Saunders et Wagner se rencontrent et se lient d'amitié. L'influence du second sur le premier est flagrante dans la construction du personnage d'Imaro. Si ce dernier reste un guerrier sauvage et farouche, il n'en est pas moins bien plus complexe et intéressant que l'habituel montagne de muscles en pagne de fourrure flanqué de la potiche languissante en bikini…
Saunders, Wagner et Moorcock imposent ainsi un nouveau style de héros et créent par là-même un nouveau genre de la Fantasy, la "Soul Fantasy", genre où les héros sont confrontés à certains dilemmes et questionnements dans des histoires où réflexion, quête initiatique et évolution intérieure ont autant d'importance que l'action et le pur divertissement.

(source : Patrice Louinet)

Comme je l'ai écrit dans ma critique (voir sujet consacré), Imaro est un peu difficile au début : l'action met du temps à se mettre en place, certains passages sont trop longs et surtout Saunders abuse des termes "africains" inventés pour son monde, au risque de noyer le lecteur. Tout a un nom propre : le soleil, la lune, le lion, l'éléphant, la hutte traditionnelle, la savane, la sagaie des guerriers… Par exemple, au lieu d'écrire "le soleil brillait haut dans le ciel", on a "Atun brillait haut dans le ciel" ou "Ningatu approchait à grands pas" au lieu de "le lion approchait à grands pas". Et très vite, ça devient chiant. Par contre, plus on avance et plus ça s'améliore et les civilisations africaines du monde imaginaire de Saunders sont vraiment attrayantes et envoûtantes.

Quant à Kane, c'est probablement mon héros préféré. Je le répète, il faut lire et relire Deux soleils couchants pour découvrir ce héros atypique, robuste et farouche guerrier mais aussi sorcier, philosophe et érudit. Contrairement à Conan, tout en restant un guerrier redoutable et un aventurier, Kane ne rejette pas la civilisation. Féru d'occultisme et de philosophie, il considère la civilisation comme une évolution normale et qui a ses avantages. Mais Kane a aussi sa part d'ombre : assassin ou voleur à l'occasion, il s'est rebellé contre son dieu et fût condamné en retour à l'immortalité, errant sans fin à travers le monde en voyant tous les autres disparaître autour de lui les uns après les autres.