ANTIQUITE

52 avant J.C : les romains, sous le commandement de Jules César, viennent de subir une sévère défaite devant Gergovie dans l'actuelle Auvergne. César, écoeuré, décide de lever le siège et de regagner ses pénates. Son armée se met donc en route pour le sud afin de rejoindre la Provence, déjà possession romaine. Les troupes s'étirent sur 30 kilomètres, comptant 100 000 personnes dont 60 000 soldats, les autres étant des auxiliaires, mercenaires et serviteurs, chargés de l'intendance (nourriture, matériel, équipement). Voyant cela, Vercingétorix, chef des gaulois, décide de frapper cette armée en retraite et lance ses 15 000 cavaliers sur la longue colonne. Surpris, les romains réagissent pourtant rapidement : les légionnaires se forment en "tortue", boucliers contre boucliers, fermement campés sur leurs positions, javelots pointés vers l'extérieur. La cavalerie gauloise se brise sur ce rempart de boucliers et tourne bride, poursuivie par les cavaliers germains mercenaires de César.



Ce dernier se lance alors à la poursuite de Vercingétorix qui, avec ses hommes, se réfugie en toute hâte à Alésia, ville puissamment fortifiée, probablement située dans l'actuelle Alise -Sainte-Reine, en Côte d'Or. Le chef gaulois s'y enferme, confiant : il dispose d'un mois de ravitaillement, d'environ 80 000 hommes (contre un peu moins pour César) et attend l'arrivée d'une armée de secours imposante. De son côté, le génial stratège réalise très vite qu'un assaut serait inutile. Il décide donc d'enfermer ses adversaires dans une formidable double enceinte de fossés et fortifications : plus de 16 kilomètres de palissades, de tours de guet, de fossés et trous emplis de pieux acérés dissimulés par des broussailles, de talus... Voilà pour empêcher les assiégés de sortir. Prudent, César fait alors édifier une deuxième enceinte similaire, de 21 kilomètres, pour se protéger d'une attaque extérieure, probablement celle de la fameuse armée de secours. Le génie romain se déploie dans ces formidables travaux de terrassement qui emploient 40 000 hommes. On est en juillet, le siège commence.





Des sorties sont tentées, en vain, Vercingétorix payant de sa personne. Bientôt, les vivres manquent. Le chef gaulois expulse alors de la ville toutes les "bouches inutiles" : des centaines, probablement des milliers de femmes, d'enfants et de vieillards sont expulsés. César refusant de les laisser passer ou de les prendre en charge (il n'en avait peut-être pas les moyens), ces pauvres gens crèvent de faim entre les deux camps.
Fin septembre, l'armée de secours arrive enfin, 240 000 hommes selon César lui-même. L'assaut est lancé la nuit suivant leur arrivée, les gaulois se ruent contre l'enceinte extérieure, armés d'échelles, de frondes, de projectiles, de sortes de grands harpons pour tenter d'arracher la palissade. Dans l'obscurité, les pertes sont sévères des deux côtés mais le terrassement romain tient bon. César n'a pas étudié pour rien la poliorcétique, l'art du siège, développé par les stratèges grecs. Vercingétorix tente alors une sortie mais échoue et regagne rapidement l'abri de ses remparts. Répit temporaire.

Le cousin du chef gaulois, Vercassivellaunos, qui fait partie de l'armée de secours, réunit alors 60 000 hommes d'élite pour un nouvel assaut, qu'il espère définitif. Dans le même temps, Vercingétorix sort à nouveau, avec un fort parti également. Cette fois, les romains, débordés des deux côtés, commencent à céder et à refluer, tandis que les gaulois sont à deux doigts de réaliser leur jonction. César en personne se jette alors dans la bataille à la tête de sa cavalerie et parvient à sauver la situation in extremis. Vercassivellaunos est capturé, Vercingétorix, la rage au coeur d'avoir échoué si près du but, se replie en urgence. L'armée de secours, brisée, se disperse, poursuivie par les auxiliaires. Le lendemain, Vercingétorix décide de se rendre. Tous ses guerriers seront réduits à l'esclavage et distribués aux légionnaires, "à raison d'un par tête".


Vercingétorix est transféré à Rome, dans un cachot de la prison Mamertime où il attendra six ans. Au bout de ces six années, César (ayant entretemps conquis une partie de l'Asie et l'Egypte) rentre pour célébrer ses triomphes, auxquels assiste une certaine Cléopâtre... Le jour où l'on célèbre le triomphe sur la Gaule, Vercingétorix défile avec les vaincus avant d'être enfin exécuté, probablement étranglé.
Nous sommes en 46 avant J.C, la Gaule devient province romaine.

Difficile de décrire précisément le physique de celle qui fût la dernière reine d'Egypte : il ne subsiste aucun témoignage matériel formel et indiscutable (statue, pièce de monnaie) de la légendaire souveraine. Certaines effigies qui nous sont parvenues sont simplement "supposées" être celles de Cléopâtre et elles sont souvent idéalisées. Et tant qu'on aura pas retrouvé sa tombe, le mystère risque de perdurer, ce qui ne fait qu'accentuer sa légende. Le buste de Berlin (photo ci-dessus) est considéré comme la représentation la plus fidèle de la souveraine.


Il faut le répéter : Cléopâtre VII n'était pas d'origine égyptienne.
A l'époque où elle naît, au cours de l'hiver 68/69 avant J.C, l'Egypte est depuis longtemps sous contrôle grec, macédonien pour être exact. Alexandre le Grand s'est emparé du pays autrefois et, à sa mort, la terre des Pharaons est revenue à un de ses généraux, Ptolémée Lagos, qui a fondé sa dynastie. Le peuple égyptien est donc sous la tutelle d'une élite d'origine grecque qui, souvent, ne parle même pas égyptien. Les deux cultures ont parfois fusionné par certains aspects, comme avec le dieu Sérapis, fusion entre Zeus et Apis.
Le père de Cléopâtre était Ptolémée XII, descendant du fondateur de la dynastie. Par contre, on ignore qui était sa mère, peut-être une concubine. Cléopâtre était donc probablement de type méditerranéen, avec un teint pouvant aller du clair au mat et des cheveux sombres, peut-être châtains. Sur une peinture murale d'Herculanum, la reine arbore même des cheveux roux :



Il faut aussi se défaire de l'image de la reine à l'égyptienne, avec robe de lin blanc, perruque nattée, cobra d'or et sandales de papyrus... La souveraine était plus probablement habillée à la grecque et les cheveux coiffés de même ou en chignon avec un large bandeau comme on le voit sur les monnaies à son effigie.
En tous cas, tous les témoignages sérieux et objectifs de l'époque décrivent un physique banal, qui n'a rien d'extraordinaire.




Si Cléopâtre n'était pas une reine de beauté, elle était par contre très cultivée et intelligente. Elle parlait le grec, l'égyptien (ce qui était peu courant chez les Ptolémées), l'araméen, l'éthiopien, le mède, l'arabe, sans doute aussi l'hébreu ainsi que la langue des Troglodytes, un peuple vivant au sud de la Libye. Sans oublier le latin. Elle eût une éducation soignée, avec des précepteurs de qualité. On lui attribue même des traités de cosmétique, d'alchimie ou de mathématiques sans que cela ait été prouvé toutefois. Enfin, plusieurs auteurs ont noté le charme de sa voix, décrit comme un véritable instrument dont elle jouait à son aise pour mieux séduire ses interlocuteurs.

Cléopâtre vivait dans un monde en pleine mutation. L'Egypte des Ramsès et Néfertiti, des pyramides, était loin, très loin. La souveraine vivait à l'heure de Rome qui dominait déjà le monde ou quasiment. A l'apogée de son pouvoir, Cléopâtre régnait sur l'Egypte et, indirectement, sur une partie de la Lybie, la Syrie, la Crète, Chypre, l'Arménie... Un véritable empire d'Orient, des "royaumes clients" comme on disait alors et dont les souverains voyaient en elle "la reine des reines".

Pierre Cuvelier est un rôliste helléniste (il est l'auteur d'une thèse consacrée au mythe de Pélops et d’Hippodamie en Grèce ancienne, soutenue à l'Université de Poitiers).

Il a écrit un jeu de rôle amateur ayant pour cadre la mythologie, Kosmos, pour lequel il publie des articles sur la vie courante, inspiré des textes antiques et des recherches des hellénistes, historiens et archéologues. On trouvera par exemple :

Matières premières, arbres et vaisselle
https://kosmoslejeuderole.wordpress.com/2023/04/03/trois-nouveaux-chapitres-matieres-premieres-arbres-et-vaisselle/

Les instruments de musique
https://kosmoslejeuderole.wordpress.com/2023/05/01/les-instruments-de-musique/

Les esclaves
https://kosmoslejeuderole.wordpress.com/2023/05/31/les-esclaves/

Je connaissais Antika mais pas celui-là. Je suis un peu dubitatif sur la musique de la Grèce antique.

Il suffit de regarder une carte de la Grèce pour rapidement comprendre le problème qui se posait autrefois aux navires :



Une étroite bande de terre, d'à peine 6 kilomètres de large à son point le plus étroit et qui sépare deux morceaux de la Grèce, entre le golfe de Corinthe et le golfe Saronique.
Ce qui posait problème aux navires de commerce et de guerre, obligés pour six kilomètres de contourner tout un pan du pays pour passer de l'autre côté, ce qui leur rajoutait entre huit et dix jours de navigation.


Les grecs de l'Antiquité mirent alors en place le Dolkios, une voie pavée de calcaire dur, bordée de rainures et qui permettait aux navires de franchir l'isthme à sec, plutôt que de faire le tour du Péloponnèse. Une opération délicate cependant et réservée à des navires de faible ou moyen gabarit. Jacques Martin, le créateur d'Alix, a illustré cette voie dans un de ses albums, Le cheval de Troie :




Très vite, l'idée de percer un canal s'imposa.
Ce fût d'abord Périandre, souverain de Corinthe, qui se lança. Mais les augures, consultés, le lui déconseillèrent : si les dieux avaient décidé qu'à cet endroit il devait y avoir la terre, il ne devait pas y avoir la mer. Creuser un canal risquerait d'attirer la colère de Poséidon ou au moins de sa petite fille, Tritée, gardienne des lieux. L'oracle de Delphes, interrogé, ayant fourni la même réponse, Périandre n'insista pas.
Jules César s'intéressa au problème mais sans donner de suite, ayant d'autres chats à fouetter. Caligula envoya sur place un ingénieur avec son équipe, chargé de faire des mesures et d'envisager les travaux mais l'assassinat de l'empereur mît fin au projet.
C'est finalement Néron qui alla le plus loin. Au cours de son séjour de 14 mois en Grèce vers la fin de son règne, il fît venir des ingénieurs d'Alexandrie en Egypte et lança les travaux. Si Néron est resté comme l'empereur "artiste", on oublie trop souvent qu'il portait un vif intérêt aux sciences et à l'urbanisme également. Après le terrible incendie de Rome, il avait fait rebâtir la ville selon des plans remarquables, avec de nouveaux matériaux réfractaires au feu. Dans son palais, sa salle à manger était surplombée d'un plafond circulaire, peint de façon à représenter la voûte céleste et qui tournait perpétuellement sur lui-même grâce à un système hydraulique. Dans les derniers mois de son règne, il s'essayait devant les sénateurs surpris à un orgue hydraulique. L'empereur vînt donc en personne sur le site et, après sacrifices, augures et grande cérémonie, porta lui-même les premiers coups de pioche avec une pioche en or avant de porter sur ses épaules la première hotte remplie de terre.
La main d'œuvre fût trouvée en Judée où l'énergique et efficace général Vespasien, le futur empereur, venait d'écraser la révolte juive : entre 5000 et 6000 prisonniers furent déportés en Grèce pour travailler au percement du canal.
Afin de montrer l'exemple, Néron ordonna aux prétoriens, sa garde personnelle, de participer aux travaux également. Les redoutables soldats n'allaient pas oublier cette humiliation, l'année suivante, quand le règne de Néron allait s'effondrer... Son successeur, Galba, trouvant le projet trop cher, stoppa les travaux.


Il ne restait de ce projet de canal que des plans et 37 puits d'une profondeur de 34 à 42 mètres.
C'est seulement en 1881 que les travaux reprirent, sous la direction du français B. Gerster pour s'achever en 1883, inaugurant ainsi le canal de Corinthe. L'ingénieur écrivît : "C'est un fait digne d'être remarqué qu'après avoir minutieusement étudié jusqu'à quatre tracés différents, nous avons dû adopter, comme étant le plus avantageux, celui-là même qu'avait choisi Néron".

Comme quoi Neron avait eu du nez.
C'est ce canal qui avait été encombré il y a quelques années avec un embouteillage monstre, non ? Ou un autre ?

De mémoire, c'était celui de Suez.

61 après J.C, Rome, sous le règne de Néron.
Ce matin-là, toute la ville ne parle que de ça : Pedianus Secundus, Préfet de Rome (en gros, maire ou gouverneur de la ville) a été retrouvé sauvagement assassiné, chez lui, par un de ses esclaves. Un nostalgique de Spartacus ? Les romains, par les aveux du meurtrier lui-même, apprennent bientôt le motif inattendu du meurtre : le préfet a été sauvagement poignardé dans son sommeil par un esclave jaloux du jeune homme que son maître aimait...

Un motif qui, bien qu'inattendu, n'avait pas de quoi soulever les foules dans une société romaine où la bisexualité ou les amours entre hommes étaient courants et tolérés. Pedianus n'étant cependant pas n'importe qui, l'affaire remonta jusqu'au Sénat et la succession de l'infortuné préfet fût rapidement réglée. C'est alors qu'une voix s'éleva, celle du juriste Caius Cassius, rappelant la vieille loi ordonnant que dans un tel cas, tous les esclaves de la victime devaient eux aussi être livrés au bourreau. Tous devaient être considérés comme complices du meurtrier, c'était la loi. Or, le défunt avait eu plus de 400 esclaves parmi lesquels des femmes, des enfants, des vieillards. Deux partis se formèrent parmi l'assemblée, les débats furent enflammés mais les tenants de la loi l'emportèrent et la décision fût votée.

Cette fois, les romains réagirent. D'un bout à l'autre de la ville, ce fût l'émoi. Des milliers de romains de toutes conditions se soulevèrent contre cette loi jugée barbare et archaïque. Armée de torches, de bâtons et de pierres, la foule grossît et se dirigea vers le lieu de l'exécution au moment où on y transférait les condamnés. Au palais impérial, Néron fût alors informé de la protestation populaire. L'empereur avait peur de la foule, il était encore très aimé des petites gens et ne voulant pas risquer cette popularité, il était prêt à intervenir pour abroger la décision sénatoriale. Mais il dût faire face à l'intransigeance de ses deux conseillers, le philosophe Sénèque et l'officier Burrhus, chef de la garde prétorienne. Néron céda, la foule fût dispersée et les condamnés conduits au supplice sous bonne escorte. Tous les esclaves du défunt préfet furent crucifiés.