L'historien ouvre ici un nouveau chapitre avec les civilisations nordiques et baltes.
Direction les terres vikings, les grands royaumes du Nord et les terres des rives de la Baltique, souvent méconnues mais riches d'histoire et de péripéties. Au pays des grands froids, de l'ambre et des fourrures, des vikings aux royaumes de Danemark et de Suède en passant par les pays baltes jusqu'aux portes de la Russie.
Les Croisades baltes
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Egalement nommées "croisades nordiques", occultées par les croisades occidentales en Terre Sainte, elles offrent néanmoins une riche matière à explorer pour les amateurs d'Histoire.
Elles commencent à la fin du XIIème siècle lorsque les états chrétiens occidentaux décident de convertir au christianisme les états baltes, restés païens, Prusse, Livonie, Lituanie... Comme pour celles ayant eu lieu en Terre Sainte, c'est un pape qui lance le mouvement, Célestin III, en 1193. Ces croisades dureront jusqu'au début du XIVème siècle et bouleverseront en profondeur des régions entières. Comme pour les croisades de Terre Sainte également, l'objectif religieux cèdera progressivement la place à d'autres, moins avouables, commerciaux, guerriers et politiques. Ce seront finalement des guerres de conquêtes au cours desquelles certains se tailleront des empires ou des royaumes, comme les fameux chevaliers teutoniques.
C'est donc Célestin III qui déclenche le mouvement, appelant à christianiser les terres païennes du grand nord et du grand est, promettant (comme l'avait fait Urbain II pour la Terre Sainte) le pardon des péchés pour ceux qui y participeraient. Mais c'est sous le pontificat d'Innocent III que les choses s'accélèrent : l'évêque Berthold de Hanovre est tué dans une embuscade, ce qui débouche en 1199 par la proclamation d'une croisade afin de protéger les chrétiens de la récente Eglise de Livonie. En réaction, ceux que nous désignons aujourd'hui comme les peuples baltes s'unissent contre l'envahisseur.
Très vite, l'objectif religieux devient militaire. Des colons germaniques sont installés sur les territoires conquis et, afin de les protéger, on voit apparaître des ordres militaires comme celui des chevaliers porte-glaive. Les souverains du royaume du Danemark et de Suède se joignent bientôt aux occidentaux et les aident à conquérir et occuper la Livonie et l'Estonie.
Mais les prussiens, eux, résistent farouchement et donnent du fil à retordre aux assaillants. C'est là qu'entrent en scène les fameux chevaliers teutoniques qui vont, en 50 ans, se bâtir un véritable royaume autonome. Ils profitent au passage de la sanglante défaite des chevaliers porte-glaive contre les lituaniens (nous allons y revenir). L'ordre ne s'en relèvera pas et il est incorporé aux chevaliers teutoniques sur ordre du pape Grégoire IX . La Courlande et la Semgalie, faisant partie aujourd'hui de la Lettonie, sont conquises à leur tour.
Les chevaliers teutoniques
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Fer de lance de ces conquêtes, l'ordre est créé en 1191.
A la base, il s'agit d'un ordre hospitalier, fondé à Saint-Jean d'Acre en Terre Sainte par des pèlerins allemands. Au départ communauté charitable, créé pour accueillir et soigner les pèlerins malades sur la route de Jérusalem, l'ordre devient rapidement militaire et guerrier.
S'ensuit une série de conquêtes impressionnante : la Suisse, le Tyrol, Prague, la Bohême, Liège... Avec des relais en Grèce, en Italie, en Allemagne... Et puis donc, les croisades baltes, depuis Riga où l'ordre s'est implanté. Comme nous l'avons vu plus haut, en 50 ans, les chevaliers teutoniques se taillent un vaste royaume, un véritable état structuré, avec terres, fermes, moulins, banquiers et négociants à leur service, colons, relais et forteresses... Ils compensent ainsi leur départ de Terre Sainte, vaincus et refoulés par les mamelouks égyptiens.
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Un vaste royaume qu'ils dirigeaient depuis leur forteresse de Malbork, dans l'actuelle Pologne :
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Un grand complexe d'environ 18 hectares, en construction permanente pendant 250 ans et qui était le siège de l'ordre.
Il s'agissait en fait de trois châteaux imbriqués les uns dans les autres, séparés par des douves et fortifications. Eglise, bibliothèque, dépendances, forge, fonderie de cloches, hôpital, potagers, rien ne manque. C'est ici que résidait le Grand-Maître de l'ordre, d'ici que les chevaliers géraient leur royaume. Ils exploitaient les forêts, les terres cultivées en y installant des colons allemands, asséchaient les marais pour en faire des terres agricoles... Dans le détail, l'ordre comptait 28 commanderies, 46 châteaux, 81 hospitaliers, 35 maîtres de couvents, 40 maîtres d’hôtel, 37 pourvoyeurs, 95 maîtres de moulin, 700 frères chevaliers, 162 frères de chœur ou prêtres et jusqu'à 6200 serviteurs. En 1400, à son apogée, il contrôlait toute la façade orientale de la Baltique jusqu'à la Finlande.
Les membres de l'ordre vivaient selon une discipline sévère et des règles strictes. Tous les biens étaient mis en commun, gérés par le grand trésorier qui les distribuait selon les besoins. Les repas étaient pris en commun, après une prière, dans un silence complet. Les offices et cérémonies religieuses étaient strictement suivis, le jeu et la chasse étaient interdits, cette dernière étant considérée comme une distraction. Les membres de l'ordre partageaient un dortoir (seuls les officiers et dignitaires avaient droit à une chambre), se couchaient à la tombée de la nuit et se levaient bien avant l'aube. Sans oublier tâches ménagères et entraînement.
Le déclin et la fin
Le pouvoir des chevaliers teutoniques vacille en 1242, lorsqu'ils subissent une sanglante défaite face aux troupes du prince russe Alexander Nevsy, allié aux mongols de la Horde d'Or. Il s'agit de la bataille du lac Peïpous qui marque un coup d'arrêt à l'expansion de l'ordre vers la Russie. L'histoire veut que le prince russe se soit retranché de l'autre côté du lac gelé pour y attirer la lourde cavalerie des chevaliers cuirassés d'acier. Les moines-soldats et les chevaliers auraient été engloutis par la glace cédant sous leur poids et les entraînant dans les profondeurs du lac. Le Grand-Maître de l'époque, une poignée de chevaliers et quelques évêques réussirent à s'en sortir et à fuir. Le prince Alexander entra dans l'histoire de la Russie. Si le royaume teutonique resta intact et continua à prospérer, le symbole fût immense : il n'était donc pas invincible.
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Mais c'est une autre bataille qui allait sceller le sort de l'ordre, bien plus tard.
On l'a vu plus haut, certains peuples baltes ont résisté, comme les lituaniens qui ont vaincu l'ordre des chevaliers porte-glaive. Ces mêmes lituaniens vont pourtant accepter de se convertir au christianisme, mais à des fins politiques et militaires : il s'agit pour eux de s'allier au royaume de Pologne. Les deux états sont la prochaine cible des chevaliers teutoniques et bien décidés à ne pas se laisser conquérir. Les lituaniens abandonnent donc le paganisme pour s'allier aux polonais, devant le danger imminent. Et c'est la victoire ! Les chevaliers teutoniques sont vaincus à la bataille de Grunwald en 1410, leur Grand-Maître de l'époque, Ulrich von Jungingen tué sur le champ de bataille. Le roi polonais Ladislas II et le grand duc lituanien Vytautas ont mis un terme définitif à la puissance de l'ordre. Ce dernier ne s'en remettra pas, va rapidement s'effondrer et son état monastique avec lui. Les chevaliers teutoniques conserveront néanmoins huit châteaux, dont leur forteresse de Malbork qui résistera à deux mois de siège. En 1525, le Grand-Maître Albert de Brandebourg devient le vassal du roi polonais Sigismond Ier, l'état des chevaliers teutoniques devient le duché de Prusse.

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Cette bataille est restée comme l'une des plus importantes de l'histoire polonaise et donne lieu aujourd'hui à des reconstitutions soignées attirant les foules :
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image : Wojsyl
Les croisades baltes ont donc bouleversé tout un monde, pendant des siècles. S'y sont croisés et affrontés les allemands, le Danemark, la Suède, ce que nous appelons aujourd'hui les Pays Baltes, la Pologne, la Russie... Le tout au fil des victoires et défaites, des traités et trahisons, des intrigues et des mariages politiques... Les redoutables chevaliers teutoniques y auront créé un véritable royaume, une puissance militaire et économique bien loin des enseignements des évangiles... Cela aura également débouché sur un formidable brassage culturel, linguistique, sociétal et ethnique, un mélange de coutumes et de cultures qui a encore un fort impact aujourd'hui.