FRANK THORNE

Né en 1930 et mort en 2021, Frank Thorne est un dessinateur et auteur de BD américain.
Amateur de pulpeuses et farouches héroïnes, il est surtout célèbre pour avoir été l'un des principaux dessinateurs de Red Sonja dans les années 1970. Une Red Sonja à l'image de ses héroïnes, aux formes avantageuses, la bouche gourmande, les yeux au mascara et vêtue de son improbable bikini de mailles...

Mais Thorne, c'est surtout un univers et c'est une des raisons pour lesquelles j'apprécie tant cet artiste.
Alors que beaucoup de BD Heroic Fantasy de l'époque proposent des personnages clonés, quasiment sortis du même moule, dans des décors et costumes passe-partout, que la scène se passe en Aquilonie, sur un monde inconnu ou ailleurs, Thorne nous offre des lieux, des costumes et des décors élaborés, chargés, ouvragés d'arabesques et de broderies, vraiment différents. L'ensemble reste ostentatoire, chaque centimètre est brodé, ciselé, sculpté, avec une touche esthétique qui est clairement celle des années 1970. C'est un peu lourd parfois, certes, mais on est en plein dans le fantastique, le merveilleux, le fabuleux, loin des atmosphères passe-partout de ses confrères, répétant les mêmes scènes dans les mêmes décors.







Ses histoires sont différentes aussi : si notre pulpeuse rouquine n'est pas avare de poses suggestives qui mettent ses formes en valeur, elle vit des histoires au scénario élaboré, clairement orientées vers le fantastique, dans des décors dépaysants, le tout avec une bonne dose de romance. Que ce soit avec Mikal, compagnon amical dont elle décline la proposition de devenir reine à ses côtés ou surtout avec Suumaro, dont elle tombe réellement amoureuse, développant avec lui une relation intéressante (auquel elle mettra un terme pourtant, fidèle à son serment, à sa légende).
Mammouths géants et harnachés, cités fabuleuses, courses de chars avec un démon à deux têtes et quatre bras, cité sous-marine, archère chauve à l'arbalète redoutable entourée de ses singes dressés, oiseau fabuleux, reine sorcière et femme-serpent, centaure souffleur de verre... Avec Thorne, l'imaginaire et le dépaysement sont au pouvoir. On glisse clairement vers un univers à la Barry Windsor Smith ou vers le souci du détail d'un Tony Dezuniga.





Frank Thorne ne cachait pas son goût pour les héroïnes voluptueuses. Il en créa plusieurs, dont la plus connue, Ghita d'Alizzar, notamment pour Heavy Metal et illustra plusieurs récits pour Playboy. Mais Red Sonja restait sa préférée.
Amateur de cosplay avant l'heure, Thorne s'amusait à prendre la pose en costume, avec des amies, figurantes, sportives ou mannequins qui lui servaient également de modèles :







Certes, certains murmuraient à propos de ces beautés en bikini de mailles qui déambulaient à travers l'atelier et la maison, mais Thorne, ancien hippie et qui se désignait en riant comme "le gamin de douze ans le plus vieux au monde" s'en moquait. D'autant plus que cela ne l'empêchait de former un couple uni avec son épouse, Marilyn, qui mourût le même jour que lui, trois heures plus tard...
Amateur d'histoires de sorciers et de merveilleux, iconoclaste et rebelle, Frank Thorne qui disait, lorsqu'on lui parlait de son métier : "Quel métier ? Je n'ai jamais exercé un métier, je dessine", s'en est allé à 90 ans. Nul doute qu'un joli cortège de belles aventurières l'a accompagné jusqu'au paradis des dessinateurs...

J'veux changer de métier.
Dessins et anecdotes de vie intéressants, ça donne envie d'en lire plus. Les photos sont marrantes aussi, il a bien l'air de s'amuser comme un gamin.
Tu en as lue ?

Oui, j'ai trouvé chez un bouquiniste un album de Conan en petit format qui contient également deux grandes aventures de Red Sonja dessinées par Thorne, c'est comme ça que je l'ai connu. En fouillant bien, j'ai trouvé également deux albums BD de la rouquine en grand format, mais en couleurs ceux-là et ce n'est pas tout à fait pareil.

Moi qui aime les atmosphères, décors et costumes dépaysants, originaux, atypiques, avec Thorne, je suis servi. Chaque aventure a vraiment un cadre spécifique, une atmosphère particulière, loin des BD aux décors passe-partout et héros qui se ressemblent tous.
J'ai feuilleté quelques albums de son héroïne Ghita d'Alizzar mais là, c'est carrément érotique, avec poses suggestives, nichons et foufoune à l'air, Milo Manara se sentirait chez lui...

Je préfère donc ses planches consacrées à la rouquine, avec ses ambiances chargées et presque oniriques parfois, ses volutes et ses arabesques. Thorne, c'est vraiment le dépaysement, le merveilleux, avec des titres évocateurs aussi comme Le sang de la licorne, Le maître des abeilles, Le char aux étalons de feu...

Connaissant tes goûts pour les détails des décors des dessins en noir et blanc, Thorne remplit carrément le cahier des charges, et ça semble même être sa patte. Si en plus ses scénars sont OK et dépaysants, ça donne envie.
Il y a des intégrales en anglais de Thorne.
Il y en a une qui a l'air SF 70's qui s'appelle Ribbit.

Ce qui peut sembler paradoxal, c'est que dans la "vraie" vie, mes goûts sont à l'opposé, je suis d'une esthétique très sobre, genre style japonais ou cycladique.

Mais pour moi, la Fantasy se doit d'être "chargée", ornée, flamboyante. C'est du fantastique, du merveilleux, ça doit faire rêver. Les palais se doivent d'être fastueux, les paysages grandioses, la magie incroyable ou effrayante... Une Fantasy avec un roi vêtu de manière quelconque avec juste une couronne sur la tête pour indiquer qu'il est roi et qui vit dans un palais qui ressemble à n'importe quelle maison venue, ce n'est pas crédible.

Pour revenir à Thorne, son style est pour moi clairement rattaché à sa grande époque, les années 1970 (c'est là qu'il consacre vraiment Red Sonja dans ses meilleures aventures). Ses motifs géométriques, ses volutes et arabesques, son influence orientale évidente avec pas mal de brûle-parfums, de vêtements richement brodés, d'architectures élaborées... Il y a clairement un goût pour le voyage, pour un "ailleurs" vaguement ésotérique, psychédélique, qu'on retrouve dans l'esprit de l'époque.

Et puis, comme je l'ai dit, des scénarios du même genre, comme dans La tour qui chante :
Sonja découvre une tour isolée au milieu d'un fabuleux jardin aux plantes narcotiques. Envoûtée, endormie par leurs fragrances, elle est emportée par d'étranges créatures mi-hommes, mi-insectes. Ces derniers, sur ordre du maître des abeilles, vont lui faire absorber un nectar récolté sur les fleurs par de petits farfadets ailés. La rouquine réalise alors qu'elle est là pour devenir la nouvelle reine de ces étranges créatures, en remplacement de la précédente. On est loin du barbare bourrin en pagne qui fracasse des crânes...







Après, en tant que dessinateur amateur, je trouve souvent son trait trop épais, trop "gras", certaines cases sont vraiment surchargées avec le texte qui bouffe la moitié des dessins, des dessins qui débordent de leurs cases pour empiéter sur les autres... En noir et blanc, c'est souvent confus et la mise en couleurs peut être alors un bien, pour mieux distinguer chaque élément.

On peut trouver une méthode de dessin de Thorne pour apprendre à dessiner 'some sexy women' sur Amazon.

Si je ne suis pas fan de son trait, j'admire sa minutie, son souci du détail et surtout son originalité : chaque vêtement, chaque décor, chaque objet est différent (bien qu'il y ait une esthétique commune au final).
Je serais curieux de savoir le temps qu'il passait sur ses grandes cases, car ce devait être long, même avec l'habitude, de remplir et décorer tout ça.


Par contre, en noir et blanc, c'est souvent trop chargé. Au premier coup d'oeil, on a parfois du mal à dissocier décor, objets et personnages, surtout si on rajoute le texte, souvent long, qui empiète sur le dessin. Même si c'est un plaisir de se "promener" dans ses images pour en saisir toute la richesse, quand on lit une histoire, il y a des moments où ça gêne je trouve.

Je vois en effet le côté surchargé dont tu disais qu'il était amoindri par la couleur. Je doute d'avoir l'occasion d'en lire mais ce serait avec curiosité.

Je pense que quand Red Sonja a été créée de toutes pièces dans les années 1970, c'était juste pour proposer un pendant féminin à Conan, avec des accroches comme :"Red Sonja, c'est Conan au féminin". Et de même que le cimmérien était invariablement représenté en BD avec son pagne de fourrure, la belle se retrouva dotée de son improbable bikini de mailles. Ne restait plus qu'à la rendre inaccessible avec cette histoire faisant qu'elle perdrait sa force si elle se donnait à un homme ou qu'elle ne pourrait aimer que celui qui l'aurait vaincue au combat.

Et c'est là que Thorne est vraiment intéressant : aussi bimbo soit-elle dans son apparence, sa Sonja est une personnalité bien plus complexe dans ses aventures.
Il y a d'abord sa rencontre avec Mikal, aventurier sympathique avec lequel elle s'entend bien. On la voit sensible à la gentillesse et à la personnalité de Ciphax, maître d'une race étrange qui vit dans une cité sous-marine, située sous un lac. On la voit se battre pour défendre les esclaves d'Athos contre leurs maîtres et leur reine "parce que cette cause est juste".
Et puis, c'est sa rencontre avec Suumaro, fils d'un mortel et d'une reine sorcière, en lutte contre son frère pour le trône de Skranos. Progressivement, elle tombe amoureuse de lui : "les journées ont été douces depuis sa rencontre avec Suumaro", "Ah Suumaro, je suis parfois vraiment heureuse que nos vies se soient croisées",  "L'idée de ne plus te revoir ne me plaît pas du tout"... Et à la fin, si elle refuse de rester à ses côtés, on sent qu'elle a mal.

Autant j'ai trouvé que Ghita était une bimbo pulpeuse sans grand intérêt, autant la Sonja de Thorne va pour moi bien plus loin que la bombasse en bikini de mailles. Si on ajoute les décors, les costumes, les univers fabuleux et flamboyants de Thorne et les dialogues, nombreux et bien amenés, c'est du tout bon.