Astre*Solitaire

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 | Sujet: LA CITÉ DES ROBOTS - 1 : ODYSSÉE / SOUPÇON Dim 5 Mar - 17:45 | |
| La cité des robots d'Isaac Asimov - 1
Odyssée, par Michael P. Kube-McDowell
Soupçon, par Mike McQuay PRÉSENTATION Il s'agit d'un livre de 1987, traduit par France-Marie Watkins en 1989 pour les éditions J'ai lu (traductrice professionnelle disparue en 1996 avec plusieurs centaines de traductions à son actif dont La légende de Titus Crow, Le masque de Loki, de nombreux Meilleurs Récits de, Rencontre comique, La reine des orages, Les robots de l'aube, etc.). Livre de poche classique arborant le n° 2573, de 475 pages, qui résiste assez bien au temps, il est illustré par Casa avec une image reprenant une des dernières scènes de la seconde partie, et possède des illustrations intérieures réalisées par Paul Rivoche, un dessinateur et un scénariste canadien de bandes dessinées. Vous pouvez profiter de son blog et de son travail sur Rocketfiction. Comme le montre le titre, il ne s'agit en aucun cas d'un récit écrit par Isaac Asimov. C'était une pratique assez fréquente à cette époque, où les grands auteurs prêtaient leur univers de fiction à de « jeunes talents » (nous y reviendrons), ce qui permettait à l'éditeur de mettre bien en gros le nom célèbre, et en plus petit, celui des vrais auteurs. Néanmoins, la première Préface du livre, écrite par Asimov, clarifie vraiment bien les choses. Son titre d'abord, Mes Robots, nous fait savoir, points sur les i, que le patron ici, c'est Asimov. Il précise p. 14 qu'il « servirait de consultant et de conseiller, garantirait que les robots resteraient bien asimovien ». Mais il rajoute à la même page que ce récit « est entièrement de Michael. Je n'en ai pas écrit un mot ». Et il en va évidemment de même pour le suivant, de Mike. Nous avons donc ici deux romans qui se suivent, Odyssée, puis Soupçon, écrits par deux auteurs différents, mais sous le regard d'Asimov afin que l'on ait bien une histoire de robot. Le seconde Préface de l'auteur de Fondation quitte le terrain de la genèse et de la forme pour pénétrer dans la robotique et présenter une idée nouvelle, celle des Lois de l'Humanique. Les deux romans s'articulent autour de chapitres (respectivement 21 et 14, pour des romans de 248 et de 177 pages), et se concluent sur une Banque de données (9, puis 13 pages de dessins accompagnés d'un court texte explicatif, tel Capsule de survie Massey G-85, Moniteur 5, les robots témoins ou le robot Euler), idée que l'on retrouve dans les Base Venus (Paul Preuss et Arthur C. Clarke). Les deux auteurs de nos romans ne sont pas très connus, pour ne pas dire complètement inconnus. Le premier, Michael P. Kube-McDowell, qui avait 33 ans à l'époque de la composition du livre, à produit trois récits pour Star Wars, deux en collaboration (vous voyez de quoi nous parlons) avec Arthur C. Clarke, et deux romans (Projet Diaspora et Exilé). D'après l'une des quatrièmes de couverture, l'auteur serait « Diplômé en sciences de l'éducation, il a publié des nouvelles dans divers magazines de science-fiction. Trois d'entre elles ont été adaptées à la télévision. Projet Diaspora est le cinquième roman de cet auteur qui s'intéresse autant à la recherche spatiale qu'à la situation du système éducatif américain. ». Et donc son troisième récit (le premier chronologiquement parlant) s'intitule Quand passe l'hiver, d'une centaine de pages, que l'on pourra lire dans la revue Fiction n°371 (de 1986). Notre second auteur, Mike McQuay, avait 38 ans lors de l'écriture de Soupçon, et est décédé en 1995. Outre une collaboration avec Arthur C. Clarke (décidément), il n'aura écrit qu'un seul et unique roman de SF : Mémoire, traduit chez nous chez Laffont et dont je vous invite à lire la préface de Gérard Klein sur le site Quarante-deux. D'autres critiques de ces auteurs seront consultables sur le site NooSFère. Comme on peut le lire, des auteurs pas si jeunes que cela et pour qui la collaboration avec les grands du moment n'aura pas vraiment permis de faire décoller leurs carrières. L'HISTOIRE Nous nous situons peu de temps après Les robots et l'empire, roman qui clôt le cycle des robots d'Asimov, puisque l'on y apprend que le Dr. Falstoff est mort. Mais la lecture des livres précédant est totalement accessoire et ne pas les avoir lus n'empêche aucunement de profiter du récit. Nous suivons donc les aventures du jeune homme Derec qui se réveille amnésique dans une capsule de sauvetage. Il va s'écraser sur un astéroïde de glace qu'une communauté de robots semble vouloir percer de part en part. Apparemment prisonnier, sa tentative d'évasion va lui faire rencontrer un vaisseau hostile étrangement peuplé, une femme, Katherine, qui semble le connaître, et une incroyable cité peuplée uniquement de robots, « la cité des robots, l'aboutissement de la logique robotique : la ville synnoétique parfaite où humains et robots pourront peut-être un jour vivre en harmonie, véritablement égaux. Les robots qui la construisent, loin de toute influence humaine, n'ont-ils pas eux-mêmes défini les Trois Lois de l'Humanique... ! » (tiré de la quatrième de couverture). Il devra alors faire face à une accusation de meurtre et démêler les fils de l'intrigue alors que la Cité des robots se meurt. MA CRITIQUE Puisque ce livre se compose dans les faits de deux romans, il y aura une double critique. Odyssée porte bien son nom puisque c'est une histoire qui nous entraîne dans pas moins de six lieux différents, certains convenus tel les couloirs d'un vaisseau spatial ou d'une station isolée, d'autres plus exotiques comme un astéroïde de glace ou une cité de robots. Or, malgré l'aventure spatiale et les décors, c'est à très très peu d'êtres vivants, cinq en comptant large, que nous sommes confrontés, comme si l'histoire compensait les étendues galactiques par un minimaliste interactionnel, à l'image d'une pièce de théâtre en huis-clos. Malheureusement, cette solitude humaine qui aurait due développer les moments forts entre les protagonistes, leurs relations, leurs échanges, tourne court. La trame de l'histoire enchaîne les empêchements : amnésie, secrets, incompréhension, distance. Alors que seul et perdu dans un monde de métal on aurait pu croire à la joie de s'entretenir avec des êtres de chair et de sang, c'est le royaume de la non-communication, des intrigues, des luttes qui domine, privilégiant le lien Derec – Robot sur celui de Derec – Être vivant. L'ensemble donne le sentiment que seules les échanges entre robots et humains peuvent être vrais, sincères. Mais ils manquent aussi par contrecoup de profondeur. Cette volonté de favoriser le dialogue avec la machine se heurte à l'un des gros écueils de ce récit en la personne de Derec. Un héros fade, lisse, dont l'amnésie – pur procédé narratif, en l'occurrence – indiffère. Rajoutez à cela une dichotomie agaçante entre son comportement immature, à s'énerver pour rien à tout bout de champ et sans vraie raison apparente, et sa capacité informatique proche du génie, capable de réparer et comprendre robotique et circuit positronique comme personne, et vous obtiendrez un personnage artificiel, trop probablement, afin de s'adapter aux changements de main que va imposer cette histoire à 5 auteurs. Enfin, narrativement, si c'est presqu'un sans faute (voir ci-dessous) on pourra faire quelques critiques légères. - Spoiler:
On s'interroge effectivement sur l'intrusion de ces extraterrestres – et pas un, mais 5 races différentes – ce qui ne correspond en aucun cas à la trame générale de la grande histoire proposée par Asimov, mais aussi sur le peu de contact humain une fois sur la station Rockliffe et qui semble révéler une artificialité dans la contrainte que s'est donné l'auteur de faire interagir Derec avec le moins d'humain possible.
Pourtant, cette faiblesse émotive, cette absence de richesse des caractères sont compensées par le désir, l'envie évident de l'auteur de nous emmener dans un monde de robots. Il y parvient tout d'abord par son renouvellement maîtrisé des décors et des péripéties qui s'enchaînent avec logique, fluidité et une petite pointe d'ironie. Il y a un bel équilibre entre contrôle et absence de contrôle, risque calculé et inattendu, mystères qui se résolvent et mystères qui surgissent. Et plus intéressant encore, cette succession d'ambiance nous apporte à chaque fois notre lot de robots différents, étranges, surprenants qui tout en respectant les Trois lois de la robotique, parviennent toujours à susciter intérêt et interrogation. Et c'est là où l'on en arrive à la force du roman, sa capacité à nous offrir une vision détaillée, presque clinique, de cet univers de robots. C'est ici que les descriptions de Kube-McDowell donnent le meilleur d'elles-mêmes, en force, en précision, caractérisant un univers de métal qui nous fascine. Au final, un roman vraiment cérébral, très dépaysant, peuplé de machines, dans lequel, de prime abord, on ne souhaite pas s'aventurer. Mais l'auteur nous y entraîne avec facilité, et l'on se surprend à s'intéresser puis à adhérer complètement à cet monde froid et mécanique de métal positronique. Avec Soupçon, nous quittons l'espace pour être plongé au cœur de la Cité des robots. Et là, on ressert encore davantage le concept, puisque l'on passe de cinq à deux êtres humains : Derec et Katherine. Et le premier problème survient, presque incontournable, le changement d'auteur. Car avec l'arrivée de McQuay, les deux protagonistes voient leur caractère se modifier. Avec Kate, on perd ce côté impulsif, mature et volontaire pour sombrer dans le caractériel et le caprice. Bref, la seule femme de l'histoire devient horripilante, malgré un très bon sursaut final, émouvant au possible, et c'est très dommage. À l'inverse, Derec gagne en maturité. Plus réfléchi, il s'énerve moins, tente d'apprivoiser les problèmes avant de leur crier dessus et l'on prend alors plaisir à suivre ses pérégrinations et ses réflexions. Néanmoins, la volonté quasi systématique de l'auteur à vouloir créer des tensions, des conflits entre ces deux personnages, probablement pour générer une dynamique, tombe complètement à côté de son objectif tant c'est artificiel et convenu. Et c'était bien inutile. En plus du fait de perdre la Katherine pimpante et énergique que nous connaissions, l'intrigue centrée sur la résolution de deux mystères – une enquête pour crime et des investigations pour comprendre ce qui arrive à la Cité – se suffit largement à elle-même. Et là, McQuay est très fort. Il parvient à nous faire rentrer dans la psyché robotique. Malgré une réelle faiblesse dans des descriptions générales imprécises et souvent anecdotiques, sa capacité à générer un lien entre son personnage principal et les robots est excellente. Les robots ! C'est le point fort, culminant de ce court roman. Bien sûr, il y a l'enquête, mais elle ne nous prend pas à la gorge, tant ce sont les relations humains – machines qui l'emportent. Ces derniers sont variés, créatifs, possèdent une palette de comportement surprenante, inquiètent, émeuvent et on se surprend à s'investir dans le rapport tendu qu'il y a entre Derec et Avernus ou dans la touchante relation que Katherine finit par développer pour Wolher, une machine qui apprend à une humaine à devenir plus humaine. Lorsque l'on referme ce roman, les descriptions hésitantes et les raccourcis narratifs, - Spoiler:
comme le fait pour Katherine de trouver le cadavre disparu et tant recherché dans une cité mouvante en perpétuelle réassemblement, et ce en moins d'une après-midi
s'effacent devant l'émotion qui nous gagne. McQuay, d'une enquête criminelle dans un monde froid et aseptisé a su faire germer, comme par miracle, la petite graine de l'émotion simple, vraie, essentielle, en parvenant à nous impliquer directement. Il interroge les rapports que nous entretenons avec nos objets, notre environnement, nous obligeant par la même à les reconsidérer, à reconsidérer ces comportements, ces réactions, ce qui fonde nos valeurs, à l'aune d'un court roman robotique. Une belle réussite au vu la difficulté de la tâche. MA NOTE Pour Odyssée : 12 Pour Soupçon : 13 Que ces notes ne trompent pas. Ce sont deux bons romans de détente et d'évasion, bien construits, bien écrits, et particulièrement dépaysants. Mais ils sont froids, hautement cérébraux et donnent parfois davantage l'impression de débattre des lois de la robotique que de s'intéresser au destin de Derec, personnage interchangeable par excellence. Pourtant, ils possèdent un charme et par moment une fulgurance, qui rend leur lecture non seulement agréable, mais stimulante. _________________ Goburlicheur de chrastymèles
Dernière édition par Astre*Solitaire le Dim 10 Juin - 13:48, édité 1 fois |
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Messages : 2377 Date d'inscription : 09/12/2012
 | Sujet: Re: LA CITÉ DES ROBOTS - 1 : ODYSSÉE / SOUPÇON Dim 5 Mar - 20:38 | |
| Je ne l'ai pas précisé, mais il s'agit d'un premier cycle de trois tomes, comprenant chacun 2 romans, suivi par Robots et extra-terrestres, trois autres tomes, de 2 romans chacun, soit 12 romans pour une dizaine d'auteurs je crois. Il y a aussi un cycle, La trilogie de Caliban que lui, je n'ai pas. Il me semble que les deux premiers cycles sont aujourd'hui difficile à trouver. Ils ne sont jamais inclus dans les différentes chronologies, car techniquement, non écrits par Asimov. D'où une certaine anonymité sur le net. Et franchement non, il n'est absolument pas nécessaire de lire les autres histoires de robots, car aucun des personnages d'Asimov ne se retrouvent dans ces romans - juste les principes de la robotique et le contexte historique - Aurora, les spatiaux ... et c'est tout. _________________ Goburlicheur de chrastymèles
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