image : Shubi
Autant le dire tout de suite à ceux qui l'ignoreraient encore : le
Necronomicon est un ouvrage
fictif. Mais Lovecraft l'a si bien inséré dans son œuvre, l'a si bien "vendu" si on ose dire que, de son vivant même, énormément de gens crûrent à son existence, dont un certain Robert E. Howard...
C'est donc Lovecraft qui invente de toutes pièces ce fameux livre, auquel il est fait référence pour la première fois en 1921, dans la nouvelle
La cité sans nom. Mais c'est dans
Le molosse, en 1924, que le livre est nommément cité. En 1927, Lovecraft donne une histoire à ce fameux livre, car il compte l'utiliser dans ses futurs écrits et il veut éviter toute incohérence.
Le
Necronomicon serait donc l'œuvre, écrite à Damas vers 730, d'un poète arabe dément, Abdul al-Hazred. Ce dernier aurait visité la mythique cité D'hirem aux 1000 colonnes (voir sujet consacré dans
Les civilisations mystérieuses) et les ruines de Babylone et Memphis. Le livre se perd après que son auteur ait été taillé en pièces par une mystérieuse créature. Mais Théodore Philetas de Constantinople l'aurait entretemps traduit en grec ancien vers 950, lui donnant son nom de
Necronomicon. Par la suite, de nombreux dignitaires de l'Eglise et même des papes auraient fait brûler les différents exemplaires, effrayés par leur terrible contenu. Et bien sûr, à chaque fois, une copie aurait survécu à ces autodafés et serait cachée quelque part (dans les archives secrètes du Vatican par exemple), attendant qu'on la découvre. Et bien sûr, tous ceux ayant approché le fameux livre en seraient morts, dans des circonstances mystérieuses et horrifiques...
Ce qui est sûr, c'est que Lovecraft se prît de passion pour son idée. Au fil des années, il donna une véritable histoire à son livre, l'enrichissant, affinant sa cohérence, jusqu'à lui donner l'air d'être vraiment authentique. Il en fait mention dans nombre de ses écrits et ne sera pas le dernier : Howard lui-même y fait référence dans ses nouvelles "lovecraftiennes". Et Howard lui-même y croit d'ailleurs : dans une lettre adressée à Lovecraft, il lui dit qu'il a peut-être trouvé un exemplaire du livre à acheter et Lovecraft, alarmé, lui répond que le livre n'existe pas. Ce qui n'empêchera pas le texan de s'en inspirer pour créer son propre livre fictif aussi,
Le livre noir. Dans une lettre de 1936, Lovecraft en vient même à regretter que tant de gens croient en cette histoire. La même année, le directeur de
Weird tales lui-même, assailli de questions par les lecteurs, explique qu'il s'agit d'une fiction.
La grande force de Lovecraft et de son
Necronomicon ? On ne sait quasiment rien du contenu. Tout est suggéré et ça ne fait qu'attirer encore plus la curiosité, ça ne fait qu'alimenter encore plus ce qui est devenu, il faut le reconnaître, un mythe. Et Lovecraft a beau sembler "regretter" l'ampleur du phénomène, il l'alimente lui-même en distillant, ici et là, des indications sur les endroits où seraient conservés les derniers exemplaires : les archives secrètes du Vatican, les réserves secrètes du British Museum, à l'université de Lima au Pérou, à l'université de Buenos Aires en Argentine, à la Bibliothèque d'Harvard ou encore à la Bibliothèque nationale de France...
Il fallait s'y attendre : le livre a beau ne pas exister, voici qu'apparaissent des faux, créés de toutes pièces, principalement par des fans du maître de Providence. Le premier est écrit par Donald A. Wollheim, jeune fan de Lovecraft, qui propose ainsi la traduction du texte grec, en 1930. Lovecraft n'est mis au courant qu'en 1936 et s'amuse de cette initiative, écrivant qu'il faudra qu'il l'achète. Dans les années 1940, c'est un autre fan, Fred L. Pelton, qui propose une traduction en anglais de la version latine par le baron Frederic Ier de Sussex en 1598. Dans les années 1970, un groupe de fans américains très actifs, l'
Ordre ésotérique de Dagon, s'organise en maison d'édition amateur et propose l'ouvrage, par correspondance. Du cercle restreint des auteurs, le
Necronomicon touche alors le grand public. Aujourd'hui, il existe sans doute autant d'exemplaires et de versions du fameux ouvrage qu'il existe de fans.
Le
Necronomicon s'est depuis invité au cinéma, à la TV, dans la musique et bien sûr la littérature (un nombre impressionnant d'auteurs d'épouvante, de gothique et d'horreur y font mention ou s'en sont inspirés). Ce livre fictif est devenu une œuvre à part entière de Lovecraft, avec son histoire, ses personnages, où l'on croise des poètes, des papes, des occultistes comme Aleister Crowley (voir sujet consacré dans
Les terres de l'étrange) ou encore des sociétés secrètes ésotériques comme la
Golden Dawn... Un univers entier gravite autour de ce livre imaginaire et continue à faire rêver, voire fantasmer certains.