LES PEINTRES DE LA BELLE EPOQUE

Tout le charme de la Belle-Epoque, dans cette très-belle oeuvre de Jean Béraud, peintre mondain qui fut le témoin de Marcel Proust lors de son duel.

Exposée au musée Carnavalet, à Paris.

J'aime bien ce peintre, ses oeuvres sont autant de témoignages, de scènes qu'on dirait prises sur le vif, de toute une époque. Le peintre de Paris, de ses rues, de ses cafés... Un côté un peu surrané pour un art de vivre révolu...

Voyageur Solitaire a écrit:

Un côté un peu surrané pour un art de vivre révolu...

Moi aussi, j'aime bien. Tu vas peut-être me trouver cinglé mais moi, c'est le genre de tableaux qui me racontent des histoires. Il suffit que je reste devant et j'imagine l'oeuvre s'animer devant mes yeux, et même je les entends parler.

Non, non, je suis d'accord. J'aime bien ces scènes de la vie quotidienne, les rues, les cafés, les commerces, les embarras de voitures... On a l'impression de se promener dans le Paris de l'époque, au milieu des passants... J'aime beaucoup.

Je suis assez fasciné par cette époque. Le luxe atteint son paroxysme, les décors de brasseries sont à tomber.
Mais si ce luxe a traversé le siècle, il cachait la misère.
Aux rêves de Marcel Proust, succède la froide réponse de Céline avec son Voyage au bout de la nuit.

Toujours est-il que je reste ébloui par le début du 20è siècle... bien loin des tours de béton d'aujourd'hui.

VIC a écrit:

Mais si ce luxe a traversé le siècle, il cachait la misère.

Oui, il faut rappeler aussi que la seconde moitié du XIXe siècle et le début du XXe, c'était aussi ça :



La "Belle-Epoque" n'était pas pour tout le monde...

Il y avait une sorte d'euphorie à cette époque, l'Europe dominait le monde, c'était le progrès, les chemins de fer, le téléphone, le cinématographe, l'électricité, les tout premiers avions, Pasteur, Marie Curie, les prémices du féminisme... Et Paris, avec ses cafés, ses brasseries, ses fêtes...
Mais à côté, effectivement, il y avait les ouvriers dans la misère, les grèves, les revendications sociales...

Une nouvelle illustration de la vie des élites à la Belle Epoque. Gervex était un habitué de grandes toiles décrivant les lieux à la mode de l'époque, ici le Pré Catelan, restaurant couru de la haute société parisienne (et qui, fondé en 1905, existe toujours).

Peint en 1909 et commandé par le propriétaire du restaurant, ce tableau d'un peu plus de deux mètres sur trois est, outre ses qualités artistiques, un véritable reportage à travers le Paris mondain de l'époque.

- Les trois personnages du centre, en train de bavarder.
La dame de gauche, en manteau orange, est l'épouse du peintre. La dame en bleu qui nous tourne le dos est Ana Gould, riche héritière américaine devenue  marquise de Castellane avant de divorcer. L'homme qui bavarde avec les deux femmes est son second mari, M. de Sagan, cousin du premier mari d'Ana.


Passons à l'intérieur... A droite, un homme corpulent est assis, semblant nous regarder. Il s'agit du marquis Jules Félix Philippe Albert de Dion de Wandonne, un des pionniers de l'industrie automobile.


Au centre, nous trouvons Anne Marie Chassaigne, une ancienne danseuse des Folies-Bergère, devenue Liane de Pougy, une courtisane célèbre de l'époque, croqueuse d'hommes et de diamants... Le pilier nous cache certainement son compagnon. Ou sa compagne car la belle affiche ouvertement à l'époque sa bisexualité, méprisant le scandale. Cocteau la décrira ainsi :" Le poing sur la hanche, harnachée de perles, cuirassée de diamants, Liane de Pougy avançait parmi les tables de Maxim's avec l’indifférence des astres. Les hommes se levaient, la saluaient. Elle continuait sa route ".  

 

Tout à gauche, nous avons l'aéronaute brésilien Alberto Santos-Dumont, l'un des premiers aviateurs de l'époque.



Retour à l'extérieur enfin où nous pouvons voir trois personnes quitter le restaurant. Il s'agit d'Arthur Meyer, directeur du journal conservateur Le Gaulois. Il est accompagné par le comte et la comtesse Greffulhe qui montent en voiture.


Ce tableau est visible au musée Carnavalet à Paris.

Dans le même style, Gervex peindra Un soir de Grand Prix au pavillon d'Armenonville, autre tableau dans lequel on aime à se promener (agrandir) :

Les tableaux valent parfois mieux qu'une leçon d'histoire... quand on regarde ces toiles provenant du XIXe siècle, la chose qui nous saute aux yeux en premier, c'est que, finalement, ces scènes auraient pu se dérouler un ou deux siècles plus tôt dans les couloirs lambrissés de Versailles...

Le XIXe siècle, c'est vraiment le siècle de la bourgeoisie triomphante. Toutes ces mondanités qui, jusque-là, relevaient de la noblesse, deviennent le fait des bourgeois, tous ces nouveaux riches : industriels, hauts fonctionnaires, rentiers... la bourgeoisie devint la nouvelle aristocratie... ou mieux : elle singe l'aristocratie.

Tout un (petit) monde qui finira avec la Grande Guerre...

Ici, on a quand-même des personnages assez mélangés et originaux : des aristocrates, un riche industriel de l'automobile balbutiante à l'époque, une courtisane bisexuelle, un des premiers aviateurs...

Pour en revenir à Albert de Dion de Wandonne, je me demande si ce n'est pas à nouveau lui, en bas à droite, assis à table et en train de discuter, dans Un soir de Grand Prix au pavillon d'Armenonville...

En tout cas, j'aime bien ce genre de toile. On a l'impression de rentrer dedans, ça fourmille de détails, c'est vivant et chaque partie où tu poses les yeux te conte une histoire. C'est tout un art de vivre, au final, très bien retranscrit dans ce genre d'oeuvre.

Oui, j'aime bien la "belle-époque". Même si, il est vrai, elle n'était pas forcément "belle" pour nombre de gens... ils devaient quand même vivre dans une sorte de "bulle" sans avoir conscience de l'orage qui se préparait à l'horizon de 1914. Mais, en même temps, qui aurait pu le prévoir ? Ils semblaient si heureux...

Voyageur Solitaire a écrit:

Moi j'ai pensé à Hercule Poirot lol...

Moi aussi !

Mais c'est lui, en effet... quand je vous dit qu'une toile vous raconte une histoire...

Vous pouvez imaginer Hercule Poirot déambuler au milieu des convives. Peut-être est-il sur une enquête ?

C'est clair, quand j'ai vu le personnage, de suite j'ai pensé à David Suchet qui incarne avec brio, le personnage de Poirot dans la série télé...

Peut être qu'il est là pour résoudre un meurtre et que pris d'une petite faim, le détective belge s'est installé à table lol...

J'aime beaucoup Une soirée au Pré Catelan , un tableau de nuit pourtant lumineux, emblématique de ma fantasmagorie de cette époque en ce qui concerne les plus aisés. Le fait de retrouver des personnages réels peints est une grosse plus-value pour moi, ça lui donne encore plus un aspect historique. Merci pour tous ces zooms sur les personnages, c'était ludique et instructif.

Alors, on continue !



En bas, à droite, l'homme assis (notre Hercule Poirot !) est bien à nouveau le marquis de Dion de Wandonne et la femme avec laquelle il discute est madame Gervex, l'épouse du peintre (son ancienne domestique, épousée en secondes noces en 1893). En face d'elle, le marquis de Castellane, premier mari d'Ana Gould, fait allumer son cigare.
Au centre et au fond, l'homme assis qui parle à des dames est le comte Robert de Montesquiou, un des plus célèbres Dandy de l'époque.
Sur la gauche, le couple qui passe commande est le général Dulac et, assise face à lui, la Belle Otero en personne.
A gauche enfin, en haut de la marche, une table avec René Duval (qui fondera en 1919 avec sa femme une célèbre maison de parfums), le comte Uribarinne et Marcel Fouquier, écrivain, et debout à coté d'eux, tout à gauche du tableau, Léopold Mourrier, le propriétaire des lieux.

La scène se passe le soir du Grand Prix équestre de Longchamp dont le dîner de clôture était l'évènement mondain où il fallait être.

Ce tableau de Gervex, peint en 1905, est également au musée Carnavalet.

Quant à l'artiste, reconnu et réputé à l'époque, le voici :

En 1879 , le peintre Auguste Renoir était devenu un ami du banquier et diplomate Paul Bérard et son épouse Marguerite. Il peignait des portraits, des natures mortes et des paysages pour eux, et leur rendait fréquemment visite à Paris ainsi que dans leur château à Wargemont, où il peint cette toile qui représente leurs filles Marguerite, Lucie et Marthe.

Une oeuvre bien dans le ton très bourgeois de cette époque...

Je trouve la petite fille de gauche, celle assise en train de lire, incroyablement moderne. On dirait plus une enfant du XXème siècle que du XIXème.

Moderne et très sage. Effectivement, j'ai tout de suite pensé à une scène d'intérieur du XXe siècle en voyant ce tableau. Surtout au point de vue de la robe ; on ne dirait pas une robe de la fin du XIXe siècle mais plutôt des années 1950.

Comme quoi, les modes sont toujours un éternel mouvement de balancier.

Oui, c'est ça : on dirait presque une enfant des années 1950, voire 1960. Autrement, j'aime pas vraiment... On est quand-même très loin des chefs-d'oeuvre de Renoir...

Une peinture plutôt touchante d'une scène de vie, j'aime assez ce genre de peinture. Et puis ça reste du féminin, ce que j'apprécie.

La jeune fille à gauche me semble intemporelle, même dans les années 70 et 80 on retrouvait des jeunes filles avec ce look. J'en ai des souvenirs de mes années de maternelles. C'est aussi je pense la représentation de l'enfance intemporelle oui. On pourrait très bien encore aujourd'hui retrouver une enfant avec cette apparence dans les milieux bourgeois et aisés.

Deux autres tableaux de la Belle Epoque, par Jules Alexandre Grün :



Comme un dernier moment d'insouciance avant la guerre qui approche... Le souper est terminé dans une grande maison bourgeoise, on se détend un peu. A gauche, une femme souriante est en train de mettre ses gants tout en bavardant avec un vieux monsieur, dans le fond, une autre se recoiffe devant le miroir.
A droite, une autre invitée discute avec ses compagnons, dans une pose nonchalante, son châle sur le dossier de sa chaise.
Sur la table restent des verres (de liqueur ou digestif peut-être), des tasses et cafetières et des fruits.





L'œuvre la plus célèbre de l'artiste, une commande d'état pour fêter le trentième anniversaire, à l'époque, du fameux salon, évènement artistique et mondain incontournable. On peut y identifier pas moins de 104 personnes dont les peintres Henri Harpignies, Fernand Cormon, Léon Bonnat ou Charles Léandre, une artiste peintre : Clémentine-Hélène Dufau, mais aussi l'architecte Victor Laloux, la chanteuse Yvette Guilbert, le compositeur Gabriel Fauré, le caricaturiste Sem, les comédiennes Geneviève Lantelme et Renée Maupin, l'inventeur du vin Mariani (ancêtre du Coca-Cola), Angelo Mariani, debout au premier plan, à gauche de Geneviève Lantelme, ou encore la femme du directeur du journal le Matin, dont la beauté émerveillait Paris et Grün lui-même (l'artiste a le visage caché, derrière son épouse Juliette).


L'artiste mît deux ans pour peindre cette œuvre de six mètres de large. La toile ne représente pas une scène prise sur l'instant mais s'inspire en fait des différents salons de 1905 à 1909, date de la commande. L'artiste a intégré tous ces personnages qui ont fréquenté le salon pendant les années précédentes, les réunissant en une seule fois. Comme un peintre qui représenterait sur une seule toile toutes les célébrités de son époque en un même lieu et un même temps. Tous ces gens ont accepté de poser, individuellement, pour être ensuite intégrés à la toile.
L'immense succès du tableau vaudra à l'artiste d'être fait chevalier de la Légion d'Honneur et une pluie de commandes.

On peut voir à gauche un homme qui s'allume une cigarette, un vieux monsieur dégarni qui, ayant sans doute trop chaud, s'éponge le front.



La fin du souper est visible au musée des Beaux-Arts de Tourcoing.
Un vendredi au Salon des artistes français est visible au musée des Beaux-Arts de Rouen.

A noter qu'en 1912, le peintre Henri-Adolphe Lassement rend hommage à Grün en peignant Au Salon des artistes français de 1911 où il peint les visiteurs regroupés autour de la toile de son ami. On y voit Grün à gauche, le chapeau à la main, saluant une dame assise vêtue de bleu.

La fin du souper me fascine un peu avec la présence des fleurs qui apporte un côté féerique, avec ces lumières également. L'autre tableau est un tour de force et un témoin de son époque et d'un milieu, mais je le trouve plus académique et moins personnel.

Grün est plutôt oublié aujourd'hui, ce qui est dommage.
Peut-être parce qu'il était à la base un illustrateur plus qu'un peintre, travaillant pour des journaux et des affiches (plus de 2000, dont beaucoup pour des cabarets et théâtres). Il faisait néanmoins partie du Paris mondain de l'époque et le succès de son Vendredi au Salon des artistes français lui assura la sécurité matérielle et la célébrité jusqu'à la fin de sa vie.

Il fût malheureusement atteint par la maladie de Parkinson à partir de 1934, ce qui l'obligea à arrêter son activité.
Il meurt en 1938 et repose au Père Lachaise.