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| | CHARLES BAUDELAIRE (1821-1867) | |
| | Auteur | Message |
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Voyageur Solitaire Admin

Messages : 8489 Date d'inscription : 07/01/2012 Localisation : Ici et ailleurs... Emploi/loisirs : Tout, passionnément... Humeur : Ici et maintenant
 | Sujet: CHARLES BAUDELAIRE (1821-1867) Jeu 8 Nov - 15:22 | |
| Le serpent qui danse
Que j'aime voir, chère indolente, De ton corps si beau, Comme une étoffe vacillante, Miroiter la peau!
Sur ta chevelure profonde Aux âcres parfums, Mer odorante et vagabonde Aux flots bleus et bruns,
Comme un navire qui s'éveille Au vent du matin, Mon âme rêveuse appareille Pour un ciel lointain.
Tes yeux où rien ne se révèle De doux ni d'amer, Sont deux bijoux froids où se mêlent L’or avec le fer.
A te voir marcher en cadence, Belle d'abandon, On dirait un serpent qui danse Au bout d'un bâton.
Sous le fardeau de ta paresse Ta tête d'enfant Se balance avec la mollesse D’un jeune éléphant,
Et ton corps se penche et s'allonge Comme un fin vaisseau Qui roule bord sur bord et plonge Ses vergues dans l'eau.
Comme un flot grossi par la fonte Des glaciers grondants, Quand l'eau de ta bouche remonte Au bord de tes dents,
Je crois boire un vin de bohême, Amer et vainqueur, Un ciel liquide qui parsème D’étoiles mon coeur! |
|  | | Voyageur Solitaire Admin

Messages : 8489 Date d'inscription : 07/01/2012 Localisation : Ici et ailleurs... Emploi/loisirs : Tout, passionnément... Humeur : Ici et maintenant
 | Sujet: CHARLES BAUDELAIRE (1821-1867) Dim 2 Déc - 9:51 | |
| Le reniement de Saint Pierre
Qu'est-ce que Dieu fait donc de ce flot d'anathèmes Qui monte tous les jours vers ses chers Séraphins ? Comme un tyran gorgé de viande et de vins, Il s'endort au doux bruit de nos affreux blasphèmes. Les sanglots des martyrs et des suppliciés Sont une symphonie enivrante sans doute, Puisque, malgré le sang que leur volupté coûte, Les cieux ne s'en sont point encore rassasiés ! - Ah ! Jésus, souviens-toi du Jardin des Olives ! Dans ta simplicité tu priais à genoux Celui qui dans son ciel riait au bruit des clous Que d'ignobles bourreaux plantaient dans tes chairs vives, Lorsque tu vis cracher sur ta divinité La crapule du corps de garde et des cuisines, Et lorsque tu sentis s'enfoncer les épines Dans ton crâne où vivait l'immense Humanité. Quand de ton corps brisé la pesanteur horrible Allongeait tes deux bras distendus, que ton sang Et ta sueur coulaient de ton front pâlissant, Quand tu fus devant tous posé comme une cible, Rêvais-tu de ces jours si brillants et si beaux Où tu vins pour remplir l'éternelle promesse, Où tu foulais, monté sur une douce ânesse, Des chemins tout jonchés de fleurs et de rameaux, Où, le cœur tout gonflé d'espoir et de vaillance, Tu fouettais tous ces vils marchands à tour de bras, Où tu fus maître enfin ? Le remords n'a-t-il pas Pénétré dans ton flanc plus avant que la lance ? - Certes, je sortirai, quant à moi, satisfait, D'un monde où l'action n'est pas la sœur du rêve. Puissé-je user du glaive et périr par le glaive ! Saint Pierre a renié Jésus... Il a bien fait ! |
|  | | Voyageur Solitaire Admin

Messages : 8489 Date d'inscription : 07/01/2012 Localisation : Ici et ailleurs... Emploi/loisirs : Tout, passionnément... Humeur : Ici et maintenant
 | Sujet: Re: CHARLES BAUDELAIRE (1821-1867) Ven 12 Juil - 21:47 | |
| Lesbos Mère des jeux latins et des voluptés grecques, Lesbos, où les baisers, languissants ou joyeux, Chauds comme les soleils, frais comme les pastèques, Font l'ornement des nuits et des jours glorieux Mère des jeux latins et des voluptés grecques,
Lesbos, où les baisers sont comme les cascades Qui se jettent sans peur dans les gouffres sans fonds, Et courent, sanglotant et gloussant par saccades, Orageux et secrets, fourmillants et profonds Lesbos, où les baisers sont comme les cascades !
Lesbos, où les Phrynés l'une l'autre s'attirent Où jamais un soupir ne resta sans écho, À l'égal de Paphos les étoiles t'admirent Et Vénus à bon droit peut jalouser Sapho ! Lesbos, où les Phrynés l'une l'autre s'attirent,
Lesbos, terre des nuits chaudes et langoureuses Qui font qu'à leurs miroirs, stérile volupté ! Les filles aux yeux creux, de leurs corps amoureuses, Caressent les fruits mûrs de leur nubilité ; Lesbos, terre des nuits chaudes et langoureuses,
Laisse du vieux Platon se froncer l'oeil austère, Tu tires ton pardon de l'excès des baisers, Reine du doux empire, aimable et noble terre Et des raffinements toujours inépuisés. Laisse du vieux Platon se froncer l'oeil austère.
Tu tires ton pardon de l'éternel martyre, Infligé sans relâche aux coeurs ambitieux, Qu'attire loin de nous le radieux sourire Entrevu vaguement au bord des autres cieux ! Tu tires ton pardon de l'éternel martyre !
Qui des Dieux osera, Lesbos, être ton juge Et condamner ton front pâli dans les travaux, Si ses balances d'or n'ont pesé le déluge De larmes qu'à la mer ont versé tes ruisseaux ? Qui des Dieux osera, Lesbos, être ton juge ?
Que nous veulent les lois du juste et de l'injuste ? Vierges au coeur sublime, honneur de l'archipel, Votre religion comme une autre est auguste, Et l'amour se rira de l'Enfer et du Ciel ! Que nous veulent les lois du juste et de l'injuste ?
Car Lesbos entre tous m'a choisi sur la terre Pour chanter le secret de ses vierges en fleurs, Et je fus dès l'enfance admis au noir mystère Des rires effrénés mêlés aux sombres pleurs ; Car Lesbos entre tous m'a choisi sur la terre.
Et depuis lors je veille au sommet de Leucate, Comme une sentinelle à l'oeil perçant et sûr, Qui guette nuit et jour brick, tartane ou frégate, Dont les formes au loin frissonnent dans l'azur ; Et depuis lors je veille au sommet de Leucate
Pour savoir si la mer est indulgente et bonne, Et parmi les sanglots dont le roc retentit Un soir ramènera vers Lesbos, qui pardonne, Le cadavre adoré de Sapho, qui partit Pour savoir si la mer est indulgente et bonne !
De la mâle Sapho, l'amante et le poète, Plus belle que Vénus par ses mornes pâleurs ! - L'oeil d'azur est vaincu par l'oeil noir que tachette Le cercle ténébreux tracé par les douleurs De la mâle Sapho, l'amante et le poète !
- Plus belle que Vénus se dressant sur le monde Et versant les trésors de sa sérénité Et le rayonnement de sa jeunesse blonde Sur le vieil Océan de sa fille enchanté ; Plus belle que Vénus se dressant sur le monde !
- De Sapho qui mourut le jour de son blasphème, Quand, insultant le rite et le culte inventé, Elle fit son beau corps la pâture suprême D'un brutal dont l'orgueil punit l'impiété De celle qui mourut le jour de son blasphème.
Et c'est depuis ce temps que Lesbos se lamente Et, malgré les honneurs que lui rend l'univers, S'enivre chaque nuit du cri de la tourmente Que poussent vers les cieux ses rivages déserts ! Et c'est depuis ce temps que Lesbos se lamente ! |
|  | | Warlock

Messages : 3533 Date d'inscription : 11/01/2012 Age : 45 Localisation : Au milieu de nulle part Humeur : Le monde est un ego sans fond
 | Sujet: Re: CHARLES BAUDELAIRE (1821-1867) Sam 13 Juil - 18:14 | |
| Le poison Le vin sait revêtir le plus sordide bouge D’un luxe miraculeux, Et fait surgir plus d’un portique fabuleux Dans l’or de sa vapeur rouge, Comme un soleil couchant dans un ciel nébuleux.
L’opium agrandit ce qui n’a pas de bornes, Allonge l’illimité, Approfondit le temps, creuse la volupté, Et de plaisirs noirs et mornes Remplit l’âme au delà de sa capacité.
Tout cela ne vaut pas le poison qui découle De tes yeux, de tes yeux verts, Lacs où mon âme tremble et se voit à l’envers… Mes songes viennent en foule Pour se désaltérer à ces gouffres amers.
Tout cela ne vaut pas le terrible prodige De ta salive qui mord, Qui plonge dans l’oubli mon âme sans remord, Et, charriant le vertige, La roule défaillante aux rives de la mort !
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|  | | Warlock

Messages : 3533 Date d'inscription : 11/01/2012 Age : 45 Localisation : Au milieu de nulle part Humeur : Le monde est un ego sans fond
 | Sujet: Re: CHARLES BAUDELAIRE (1821-1867) Sam 13 Juil - 18:17 | |
| L'invitation au voyage Mon enfant, ma sœur, Songe à la douceur D’aller là-bas vivre ensemble ; — Aimer à loisir, Aimer et mourir Au pays qui te ressemble ! Les soleils mouillés De ces ciels brouillés Pour mon esprit ont les charmes Si mystérieux De tes traîtres yeux, Brillant à travers leurs larmes.
Là, tout n’est qu’ordre et beauté, Luxe, calme et volupté.
Des meubles luisants, Polis par les ans, Décoreraient notre chambre ; Les plus rares fleurs Mêlant leurs odeurs Aux vagues senteurs de l’ambre, Les riches plafonds, Les miroirs profonds, La splendeur orientale, Tout y parlerait À l’âme en secret Sa douce langue natale.
Là, tout n’est qu’ordre et beauté, Luxe, calme et volupté.
Vois sur ces canaux Dormir ces vaisseaux Dont l’humeur est vagabonde ; C’est pour assouvir Ton moindre désir Qu’ils viennent du bout du monde. — Les soleils couchants Revêtent les champs, Les canaux, la ville entière, D’hyacinthe et d’or ;
— Le monde s’endort Dans une chaude lumière.
Là, tout n’est qu’ordre et beauté, Luxe, calme et volupté.
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|  | | Warlock

Messages : 3533 Date d'inscription : 11/01/2012 Age : 45 Localisation : Au milieu de nulle part Humeur : Le monde est un ego sans fond
 | Sujet: Re: CHARLES BAUDELAIRE (1821-1867) Mer 11 Sep - 18:57 | |
| L'irrémédiable Une Idée, une Forme, un Être Parti de l'azur et tombé Dans un Styx bourbeux et plombé Où nul oeil du Ciel ne pénètre ;
Un Ange, imprudent voyageur Qu'a tenté l'amour du difforme, Au fond d'un cauchemar énorme Se débattant comme un nageur,
Et luttant, angoisses funèbres ! Contre un gigantesque remous Qui va chantant comme les fous Et pirouettant dans les ténèbres ;
Un malheureux ensorcelé Dans ses tâtonnements futiles, Pour fuir d'un lieu plein de reptiles, Cherchant la lumière et la clé ;
Un damné descendant sans lampe, Au bord d'un gouffre dont l'odeur Trahit l'humide profondeur, D'éternels escaliers sans rampe,
Où veillent des monstres visqueux Dont les larges yeux de phosphore Font une nuit plus noire encore Et ne rendent visibles qu'eux ;
Un navire pris dans le pôle, Comme en un piège de cristal, Cherchant par quel détroit fatal Il est tombé dans cette geôle ;
- Emblèmes nets, tableau parfait D'une fortune irrémédiable, Qui donne à penser que le Diable Fait toujours bien tout ce qu'il fait !
Tête-à-tête sombre et limpide Qu'un coeur devenu son miroir ! Puits de Vérité, clair et noir, Où tremble une étoile livide,
Un phare ironique, infernal, Flambeau des grâces sataniques, Soulagement et gloire uniques - La conscience dans le Mal ! |
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