ELKINS ESTATE

D'après les images qui suivent, essayez de savoir où nous sommes :






En France ? Dans un palais d'Europe Centrale ? Un palais russe ? Hé bien non, nous sommes aux USA, en Pennsylvanie.
Bienvenue au domaine Elkins, autrefois propriété de William Elkins (1832-1903). Ce dernier était un magnat industriel du Gilded Age, cette époque qui suivît la Guerre de Sécession et qui vît l'ascension fulgurante des grands magnats du train, du charbon, de l'électricité, du gaz. Ces derniers se taillèrent de véritables empires et bâtirent en peu de temps des fortunes colossales, profitant de l'industrialisation rapide du pays.


C'est donc sur ce domaine de 42 hectares que notre homme fît bâtir et aménager Elstow Manor en 1898.
Ce manoir de 45 pièces fût commandé à l'architecte Horace Trumbauer, très recherché à l'époque par les grandes familles pour faire édifier leurs manoirs et maisons de campagne. Le bâtiment est bâti dans le style Renaissance italienne. L'intérieur fût aménagé et décoré par le français Allard. Colonnes de marbre, boiseries précieuses, fresques, lustres en cristal, marqueteries, rien ne fût trop beau pour Elkins. Tout ou presque fût importé d'Europe et assemblé sur place. Salle de bal, salon de dessin, bibliothèque, salon de billard, salle du petit-déjeuner, chapelle privée, cuisine équipée, rien ne manque. Au deuxième étage, neuf chambres, trois dressings et sept salles de bains. Le troisième étage comprenait les quartiers des domestiques. N'oublions pas le parc, le garage pour les calèches et premières voitures, les serres...








C'est dans cette fastueuse demeure qu'Elkins s'installa avec les siens. Il y séjournait quand il n'était pas dans ses bureaux de Philadelphie ou New York. Collectionneur et amateur d'art, notre magnat y possédait également une collection de 132 tableaux.
Des photographies d'époque permettent de mieux s'imaginer les lieux :






Mais il faut croire que notre millionnaire se sentait encore trop à l'étroit...
En 1896, il fait bâtir sur son domaine Chelten House, maison de trois étages de style "Tudor", pour l'offrir à son fils George. Là aussi, toutes les commodités sont présentes, sans oublier remises et écuries.










William Elkins meurt en 1903. Le domaine se transmet à son fils puis à son petit-fils. La crise de 1929 met à mal la fortune familiale et le petit-fils, nommé également William, vend Elstow Manor en 1932 à l'ordre dominicain des sœurs de sainte Catherine. Chelten House est vendue à Stephen X. Stephano, qui a fait fortune dans l'industrie de la cigarette. En 1948, après la mort de sa femme Pénélope, il vend la maison à l'ordre des sœurs de sainte Catherine qui récupère donc l'intégralité du domaine. Les sœurs entretiennent et préservent soigneusement l'endroit pendant plus de 75 ans. En 2019, le domaine est vendu pour devenir un "boutique hôtel" avec spa et salle de sport, coûtant trop cher à l'ordre pour le maintenir en l'état. Aujourd'hui, l'endroit est loué pour des séminaires, conférences et mariages ou encore des tournages historiques. Une partie des fonds récoltés permet de maintenir et sauvegarder ce témoignage architectural et décoratif du Gilded Age.

Notons que Elkins Estate n'était pas un cas isolé. La région est riche en fabuleux manoirs et immenses maisons édifiés par cette grande bourgeoisie industrielle triomphante. On peut citer par exemple Lynnewood Hall et ses 110 pièces, construite entre 1897 et 1900. Elle fût bâtie par Horace Trumbauer, celui qui construisît Elstow manor. La salle de bal, à elle seule, pouvait accueillir 1000 invités... Les descendants du maître de maison, le père et son fils, périrent lors du naufrage du Titanic. Longtemps abandonnée, trop chère pour trouver acquéreur, elle est aujourd'hui gérée par une fondation qui tente de la préserver.

Je n'accroche absolument pas à ce genre de bâtisses totalement disproportionnées par rapport aux besoins. Je peux le comprendre pour un monarque qui doit héberger son état-major, mais pour un particulier...

C'est le contexte de l'époque, cette bourgeoisie triomphante, parfois partie de rien et qui tenait à marquer et afficher sa réussite, souvent bâtie en une génération. "Parvenus", "Nouveaux riches" répondaient avec mépris ou dédain les grandes familles déjà établies depuis des lustres. C'est d'ailleurs le thème de la série Gilded Age dont nous avons parlé.

Le dédain des anciennes familles ne les empêchait pas pour autant de courtiser les richissimes héritières de ces nouveaux riches, de même que ces derniers ne rechignaient pas à les marier avec les fils des grands aristocrates... Chacun redorait son blason comme il pouvait.
On en a un exemple dans la série Downtown Abbey où la comtesse, maîtresse de maison, est une riche héritière américaine devenue comtesse par son mariage avec le maître des lieux.

Sinon, ce qui me laisse songeur, c'est le contraste avec la côte Ouest où, à la même époque, les rudes cowboys parcouraient les immensités du Far West et hantaient les saloons de "villes-champignons" perdues au milieu de nulle part... Et de l'autre côté, c'était New York, Philadelphie, Washington, les tramways, l'éclairage électrique, les petits Versailles perdus dans la campagne...

Pour la maison elle-même, c'est comme Versailles : je n'y habiterais pas mais j'aimerais passer une journée à m'y perdre.
Le problème aujourd'hui, c'est de sauver et d'entretenir ces maisons. Lynnewood Hall, à l'heure actuelle, est (à l'exception de deux/trois pièces) abandonnée, l'intérieur jonché de gravats, paradis des amateurs d'urbex qui y faisaient des vidéos avant que la propriété ne soit mise sous alarme. Où trouver les fonds pour sauvegarder un tel ensemble ? La maison est estimée à plus de 250 millions de dollars actuels...

C'est tout à fait le genre d'endroit ou j'aimerais m'y perdre, parcourir la bâtisse de long en large, m'arrêter dans une des salles en m'y imprégnant du lieu.

Par contre pour y vivre, trop compliqué et coûteux, de plus en hiver pour chauffer ce genre de baraque impossible, et l'entretenir même pas la peine d'y penser.

Oui, c'est bien le problème : non seulement ce genre de maison coûtait une fortune à construire mais aussi à entretenir. Surtout aujourd'hui où il faut faire appel à des artisans spécialisés qui travaillent selon les méthodes d'autrefois et avec des matières précieuses (bois, marbre, cristal...).
Elstow Manor et Chelten House nous sont parvenus intacts parce qu'ils ont pu être entretenus pendant des années par l'ordre religieux qui s'en était porté acquéreur.

Pour Lynnewood Hall, d'après les dernières infos que j'ai trouvé, la maison est toujours abandonnée, un système d'alarme ayant été mis en place pour éviter curieux, rôdeurs et fans de visites "urbex" qui venaient y tourner des vidéos. Des passionnés, regroupés au sein d'une fondation, tentent de protéger la demeure et de restaurer, progressivement, son ancienne splendeur.
Seuls sont intacts et restaurés la salle de bal et l'impressionnant hall d'entrée :









Si Lynnewood Hall reste la plus grande (110 pièces, deux fois la Maison Blanche en surface), on peut trouver d'autres immenses et fastueuses demeures "Gilded Age" dans la région comme :