FRANZ ANTON MESMER

Etrange personnage que ce médecin allemand, né en 1734 et mort en 1815.
Charlatan et imposteur pour les uns, magnétiseur et pionnier de l'hypnose pour d'autres, décrié en France, reconnu en Angleterre au point d'avoir donné son nom au verbe "hypnotiser" (to mesmerize)...

Franz Anton Mesmer a d'abord étudié la religion et le droit avant de s'intéresser très vite à la médecine, mais à une médecine peu conventionnelle. Il se prend d'intérêt pour le magnétisme et pose comme théorie que chaque être humain est parcouru par un "magnétisme animal", un fluide, que l'on pourrait réguler afin de guérir troubles et maladies.  Il s'intéresse notamment aux travaux de médecins anglais qui utilisent des aimants et également à l'hypnose. A 27 ans, il réussit à soigner une jeune femme victime de convulsions en utilisant des aimants qui relient la patiente au médecin et par lesquels passerait le fameux magnétisme animal, auquels s'ajoutent des séances d'hypnose. Il connaît d'autres succès, auprès par exemple d'un grand seigneur hongrois qu'il guérit de spasmes nerveux. Plus tard, il soigne la musicienne aveugle Maria Theresia von Paradis (dont nous avons déjà parlé dans la section Classique de La salle de musique) et serait parvenu à lui rendre partiellement la vue, de manière temporaire.



https://les-terres-de-vs.forumgratuit.org/t2846-maria-von-paradis-la-virtuose-aveugle


Voici notre homme s'installant à Paris.
Très vite, il connait le succès et reçoit une clientèle huppée à laquelle il demande des honoraires en conséquence, lui permettant de mener grand train. Soucieux de respectabilité, il fréquente des médecins réputés et publie un mémoire exposant sa théorie. Il y développe son idée qu'un fluide subtil circulerait à travers l'univers, les êtres et à travers les hommes eux-mêmes. La maladie ne serait qu'un déséquilibre, une mauvaise répartition du fluide en question, que le praticien pourrait rétablir harmonieusement. Ce fluide pourrait même être capté et redistribué à d'autres, au cours de séances collectives. Notre homme rejette dans le même temps toute accusation d'occultisme, expliquant sa théorie de manière rationnelle et logique en 27 points. Devant le succès rencontré, débordé par les demandes de consultation, Mesmer décide d'organiser des séances collectives autour de son fameux baquet :



Un grand baquet rempli d'eau magnétisée (c'est à dire d'eau mêlée de limaille de fer), dont les bords du couvercle sont percées de trous par où passent des tiges de fer recourbées à différentes hauteurs pour pouvoir les appliquer aux différentes parties du corps à traiter. Outre ces tiges, des cordes relient tous les malades les uns aux autres ainsi qu'au baquet.
Très vite courent les rumeurs les plus folles : on parle de crises d'hystérie collective, de patients perdant le contrôle d'eux-mêmes, éclatant de rire, pleurant, pris de spasmes, de convulsions... Certains "retombent en enfance", sombrent dans le sommeil et, se réveillant, disent avoir "bien fait dodo"... On se bouscule pour participer ou assister aux fameuses séances.

Le cinéma et la télévision n'y sont pas restés insensibles : dans les années 1980, la série TV La comtesse de Charny illustre une des fameuses séances :




En 1995, le film Jefferson in Paris également, avec Marie-Antoinette (Charlotte de Turckheim) demandant à une amie, qui a participé à une séance, si elle a fait "bon voyage" :




En parlant de Marie-Antoinette, la reine fait attribuer à Mesmer 20 000 livres de rente et 10 000 livres supplémentaires pour ouvrir un nouvel établissement de soins.

Beaucoup de bruit, à tel point que Louis XVI, passionné de sciences, demande à deux commission de savants d'enquêter sur Mesmer et sa théorie. Les commissaires font partie des plus grands savants de l'époque : l'astronome Jean Sylvain Bailly, les médecins Joseph-Ignace Guillotin (inventeur de la guillotine) et Jean d'Arcet, le chimiste Antoine Lavoisier, des physiciens comme l'ambassadeur des États-Unis Benjamin Franklin et Jean-Baptiste Le Roy, le botaniste Antoine Laurent de Jussieu... Le verdict est sévère : ses procédés curatifs sont jugés inopérants, ses guérisons ne seraient que le produit de l'imagination des malades. Quant au "magnétisme animal", il n'aurait aucune existence réelle.
Ce qui est certain, c'est que cette enquête ne fît qu'accroître la publicité autour de notre homme : à l'époque, son baquet ne désemplit pas.
Mais les attaques se font de plus en plus violentes : Mesmer, bel homme, athlétiquement bâti, est accusé d'abuser de certaines patientes au cours de séances d'hypnose. Très vite, on le raille en public, on le caricature en prédateur sexuel se servant de ses talents pour obtenir des faveurs sexuelles de ses patientes sans défense. En 1784, il assiste à un concert, avec toute la cour, de Maria Theresia von Paradis, la musicienne à qui il aurait partiellement rendu la vue autrefois. En voyant arriver sur scène la jeune femme toujours aveugle, les spectateurs se tournent vers Mesmer et ricanent. Humilié, le médecin quitte la salle. Sensible, émotif derrière son physique solide, Mesmer plonge dans la dépression et décide de quitter Paris.
Il voyage alors à travers l'Europe pendant des années avant de se retirer en Suisse. Ayant perdu une grande part de sa fortune, il lui en reste assez toutefois pour y vivre à son aise, solitaire et retiré, se sentant rejeté et profondément blessé par toutes ces attaques et ces accusations de charlatanisme. Il meurt en 1815.

Difficile à dire...
Mesmer était sans aucun doute charismatique : bel homme, séduisant, parlant un français impeccable (quoique teinté d'un fort accent), ayant de belles manières, il avait tout pour séduire la haute-société. Il réfutait toute idée d'occultisme, de charlatanisme et il fît tout pour démontrer que sa théorie était scientifique et pouvait être prouvée scientifiquement. De grands noms de la médecine de l'époque l'appuyèrent, il fréquentait des intellectuels, des artistes (dont le père de Mozart). Malgré cela, notre homme restait un hypersensible, cyclothymique, passant de l'exaltation à l'abattement. Il prenait très mal les moqueries et accusations d'escroquerie et de charlatanisme.
Pour autant, il reste pour beaucoup le pionnier de l'hypnose, voire même de la psychanalyse. Au cours de séances, il plongeait ses patients dans un "sommeil hypnotique" pour les faire parler et révéler leurs blocages inconscients. Il a été le premier à aborder les spasmes, les convulsions, l'épilepsie, du point de vue scientifique et médical et non pas religieux comme c'était encore le cas à l'époque où l'on croyait les patients "possédés". Comme on l'a vu, il ne manqua pas de soutiens et il eût des disciples. Honoré de Balzac était convaincu par sa théorie, Maupassant en parle dans un de ses ouvrages de même qu'Alexandre Dumas qui décrit une séance du fameux baquet dans un de ses livres. Pour Stefan Zweig, le fameux "fluide animal" de Mesmer n'était autre que l'inconscient et Freud s'intéressa à ses travaux également. Les anglais furent très intéressés par sa théorie, au point d'inventer le verbe to mesmerize comme synonyme de to hypnotize.