C’est aux alentours de 2016 que j’ai entamé la revisitation du premier opus de la série
Loup*Ardent (une série de 4 livres dont vous êtes le héros), sans bien savoir alors dans quoi je m’engageais, avec simplement le désir d’apporter un peu plus de cohérence et de jouabilité à un titre que j’appréciais particulièrement. Mais je fus contraint de faire une longue pause entre 2018 et 2020 pour des raisons d’ordre privé (avec tout de même une première présentation du projet en 2019). J’ai pu vraiment y retourner fin 2020, début 2021. Techniquement, j’ai rédigé 242 § et je me trouve grosso modo au milieu de l’exploration du château des Xandine. On peut dire que j’ai environ réécrit la moitié de l’aventure et que l’ensemble aurait comporté environ 500 §, au lieu des 183 proposés à l’époque. Les règles demeuraient assez proches de celles d’origine – j’avais surtout intégralement revu les épreuves de caractéristiques/compétences. Mais je n’avais pas encore totalement décidé ni du système de combat, ni des bases de la magie – même si un très gros travail de défrichage avait préalablement été réalisé. C’est ainsi que je me suis retrouvé bloqué par un soucis de bouclier et un autre de magie cléricale. J’aurais pu assez facilement les résoudre en opérant un choix parmi les différentes règles que j’avais écrites et en poursuivant la narration. Néanmoins, je sentais confusément qu’il y avais un problème de fond plus grave concernant la justification de certains éléments narratifs. De plus, entre-temps, une nouvelle idée avait germé : celle de raconter les événements qui s’étaient produits avant que Loup*Ardent n’échappe aux griffes du désert. Pour ce faire, j’ai cartographié assez précisément la région du Harn concernée (reg, erg – dont vous avez une vision –, montagnes, volcans, steppes, collines, etc.) et j’ai rédigé plusieurs pages sur la culture, l’environnement, les créatures, le scénario, les antagonistes, tout en planifiant une suite au premier livre officiel. Il y aurait donc eu une préquelle,
La horde des démons et une séquelle, le tout avant le tome 2,
Les cryptes de la terreur ; une trilogie, donc. Ce faisant, il y avait toujours ces deux ou trois éléments de fond qui me posaient problème, qui n’expliquaient en rien, ou fort mal, les idées de prophétie, de réincarnation d’âmes maléfiques dans des corps artificiels, d’esprits extra-terrestres, de longévité au-delà du surnaturel... J’ai donc commencé à plancher sur la cosmologie du Harn, ce qui m’a fait choisir de réinvestir celle de D&D, puisque clairement les mécaniques du jeu s’en inspirent et que c’est également un des environnements de jeu que je connais le mieux. Mais voilà, avec D&D, rien n’est simple, et entre la mise à plat de la cosmologie et les réflexions pour, à partir de cette dernière, en bâtir une nouvelle, je me suis retrouvé avec plus de 30 pages tapées (et pour donner une idée, cet article représente environ 11 pages). À cela est venu s’ajouter deux complications extérieures. La première est qu’intellectuellement, j’avais fait le tour de ce que je voulais modifier dans
La horde des démons. Et quand mon esprit à fait le tour d’une question (ou se le figure), il passe à la suivante, se désintéressant de l’ancienne. Et c’est très précisément ce qui arrive avec la réécriture de la saga. Mon seul moyen de passer outre, hors à me faire violence, c’est de non plus revisiter, mais réécrire l’aventure. Et c’était devenu mon projet, en ce sens que cela m’affranchissait en grande partie des problèmes de droit (il y aurait toujours eu un soucis de plagiat puisque certaines constructions du scénario de départ devaient demeurer comme les esclavagistes, devenir magicien, la filiation, mais qui ne se posent quasiment pas dans le premier livre de la trilogie). C’est ainsi que je me suis lancé à corps perdu dans la construction de la cosmologie dont les premières réflexions vous sont livrées ici. Mais, et
quid de la seconde complication ? Toute proportion gardée, il s’agit de la mort du mangaka Kentaro Miura qui nous a malheureusement quitté à l’âge de 54 ans. Il nous laisse avec une œuvre inachevée, son manga
Berserk, monumental, incontournable, pour moi un des meilleurs mangas de tous les temps. Et cela m’a renvoyé à ma propre mortalité. Non pas en tant que réflexion sur la mort en soi, mais sur l’inachèvement qui peut en résulter. Car j’ai aussi, et depuis longtemps, quelques velléités d’écriture. Or, la conception scénaristique et la reprise de
Loup*Ardent auraient dû être les dernières pierres que je voulais poser avant de me (re)lancer dans mes propres projets. Et maintenant, je m’interroge. Dois-je poursuivre ou bien ne me faut-il plus travailler que ce sur que je souhaite écrire ? Tant et si bien que je ne sais pas si, cette fois-ci, je mènerai le projet à son terme. C’est la raison pour laquelle je poste à présent ce que j’ai déjà écrit – au chapitre des réflexions, la cosmologie –, à la fois comme mise en perspective de ce que j’aurai aimé/j’aimerais vous proposer, mais aussi comme témoignage de l’ultime étape préparatoire à des récits bien plus personnels.
Ce qui suit est d’abord une synthèse des développements cosmologiques de la gamme D&D. Cela va nourrir notre démarche en nous demandant pourquoi, comment, et si... afin de refonder une cosmologie à la fois en lien avec mes thématiques et mon soucis de vraisemblance, mais aussi apte à être utilisée comme modèle cosmologique pour jouer au sein des mondes proposés par la licence
Donjons & Dragons. Comme vous le verrez par la suite, si la première partie consiste à analyser, disons, le Multivers de D&D, pour les parties suivantes, je pioche à la fois dans les univers de fantasie (
Berserk,
Les princes d’Ambre, l’hypercycle du multivers de Moorcock, le Ka et le multivers de King, les Mythagos,
Flatland ou encore la saga des Hommes-dieux...), comme dans les différentes représentations du monde connu et inconnu que proposent et les différentes religions et le spiritisme, le mysticisme, l’ésotérisme ou encore le spiritualisme (la racine en « -isme » servant pour former un nom correspondant à une doctrine, un dogme, une idéologie ou une théorie, qu’elle soit religieuse, politique ou scientifique [Wiktionnaire]). Cela ne veut pas dire que j’y crois, que j’y adhère ou que je promeus. Pas du tout. Je laisse à chacun le choix de ses croyances, sans porter de jugement. Je ne fais ici, en ce qui me concerne, qu’y puiser afin de trouver/récupérer des idées, des notions, des concepts pour imaginer une cosmologie inventive et attrayante. Rien de plus. Une ultime précision : il est très difficile de trouver des images telles que je les souhaite pour illustrer les mondes et les plans de D&D. Pour ce faire, je suis aller chercher ailleurs. Les légendes faussement titrées afin de permettre une meilleure immersion sont toutes frappées d’un *. Vous retrouverez leurs sources dans l’iconographie.
Et maintenant que tout est dit, je ne peux que vous souhaiter une agréable lecture.
Cosmologie
1- Le Multivers Il existe, au sein des univers de science-fiction comme de ceux de fantasie
1, un certain nombre de décors littéraires et ludiques qui furent inventés en s’appuyant soit sur des idées scientifiques (multivers, dimensions parallèles, dilatation temporelle...), soit sur des notions ésotériques de plan (divin, mental, admique, monadique...), de facultés extra-normales (magie, transmigration, chakras, télépathie...) ou de créatures para-normales (sirènes, morts-vivants, phénix, lycanthropes, griffons...), soit sur des constructions qu’offrent les différents paradigmes religieux et mythologiques (Ciel/Enfer, Yggdrasil/Asgard, Bureaucratie céleste/Terre rouge, Olympe/Styx, Avalon/Ys, Valkyrie/Einherjar, djinn/golem/dragon...). C’est ainsi que D&D
2, dans un vaste syncrétisme ludique, s’est emparé de ce qui était légalement disponible (pas de Cthulhu ou de Terre du Milieu donc) et avec, reconnaissons-le, une certaine touche d’originalité, a tenté de fondre l’ensemble au sein de l’athanor des plans, Planescape. L’un des problèmes que tout joueur pourrait rencontrer, c’est l’empilement difficilement gérable des univers de D&D en raison des restructurations systématiques du monde de jeu, passé à la moulinette des versions. Que cela soit OD&D, D&D (qui a connu 5 versions différentes : Base, BX, BECMI, Cyclopedia et Classic), AD&D1, AD&D2, AD&D2.5, D&D3, D&D3.5, D&D4, D&D4 Essentials
3, D&D5, et le système D20... toutes ont leurs théories, leurs concepts, leur vision de l’étagement des mondes, des univers disponibles, accessibles, au sein de cascades d’événements dignes des plus grands soap operas du genre. On va tenter ensemble d’y voir plus clair, à la fois de manière diégétique comme extra-diégétique, notamment, mais pas seulement, à travers un retour sur les récits des catastrophes survenues : le temps des Troubles (pour AD&D2),
Meurt ! Vecna, meurt ! (pour D&D3), la Magepeste (pour D&D4) et la Seconde Fracture (pour D&D5), avec les répercussions que cela aura sur la cosmologie générale du jeu et des univers de D&D.
Néanmoins, avant d’embarquer, une rapide consultation de la chronologie des mondes et des suppléments de D&D va s’avérer utile, puisque c’est elle qui nous aidera à comprendre à partir de quel moment, telle notion est apparue, tel aspect a évolué, telle structure a été supprimée – ce qui nous permettra d’en analyser les concepts et de dégager ceux qui nous semblent les plus pertinents pour l’élaboration d’une cosmologie unifiée. Il ne s’agira pas de faire un historique précis de l’Univers selon D&D, mais juste une remise en perspective. Rappelons à toutes fins utiles que D&D, ce sont des milliers de suppléments. Il n’y aura donc pas, dans les lignes qui suivent, le moindre soucis d’exhaustivité, mais un petit tri sélectif qui s’appuie à la fois sur certaines des bibliographies issues de diverses Wikipédia, et qui correspondent aux mots-clés « édition, cosmologie, multivers, plan, dimension, décor, campagne, origine et histoire », et sur ma bibliothèque personnelle. Enfin, le concept de « décor de campagne », qui bien souvent recouvre des approches/fonctionnalités/réalités de jeu fort différentes, est pris dans son sens le plus large – un cadre où installer une session ludique. La première apparition des univers originaux est noté en gras (je n’inclus pas tout, notamment la plupart des décors sous licence D20). Les suppléments décrivant les plans, ou cités uniquement pour cette raison, seront soulignés afin de faire la différence entre un univers de jeu et le grand univers dans lequel ils s’inscrivent. Enfin, ces informations sont listées au sein des éditions de référence de D&D, des origines à nos jours, ce qui nous offrira également une vision un peu plus précise des apports de chaque nouvelle édition du jeu. Il va de soi que je ne possède pas toutes ces références (82, dont 20 univers de jeu, sans compter celles citées au sein de l’article).
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Notes
1. La langue française évolue... parfois. Alors que des mots comme ferry ou curry vont conserver leur « y », d'autres comme hippie, caddie, grizzli vont le perdre. Aujourd'hui pour « fantasy », il est recommandé d'écrire fantasie. Non pas que le « y » me gêne. Un français dira « i ». Mais j'entends si souvent, au lieu d'un \fɑ̃tazi\, des \f
a.ntazi\, \fɑ̃t
ɛzi\, voire même \f
a.nt
ɛzi\, que je me dis que franciser l'orthographe ne pourra qu'aider à une prononciation en accord avec la langue que l'on utilise. Il ne viendrait à l'idée de personne de dire \fɛɹi\ (avec le faux R – wr – à l'anglaise), ou grouizli, ou bien \kʌɹi\ keuwri. « Sur le feuwri, il y avait un kèdi plein de keuwri... » non ? Sans compter que cette préciosité ne se voit (presque) que pour l'anglais, même si parfois c'est effectivement la prononciation d'origine qui l'emporte : putch se dit bien poutche. Néanmoins personne ne dira « tsinnk » pour zinc, ou « enntsume » pour enzyme, ni « kamikadzé » pour kamikaze, ou encore « roroba » pour huile de jojoba. C'est pourquoi, j'écris fantasie.
2. Terme générique que dorénavant j'utiliserai tant pour AD&D que pour D&D, sauf à les comparer entre-eux.
3. Je ne les traduis pas, les différents sens étant parfaitement transparents en français : base, expert, compagnon, maître, immortel, (en)cyclopédie, classique et essentiels.
2- Citadelle cachée de Cynidicée sur Mystara*OD&D, D&D et AD&D 1 (18 références)
1977 : « Planes : The Concepts of Spatial, Temporal and Physical Relationships in D&D (Les concepts de relations spatiales, temporelles et physiques dans D&D) », de Gary Gygax (article paru dans Dragon Magazine nº 8, p. 4-5, 28) ;
1979 :
Blackmoor (Noirelande
4) ;
Greyhawk (Faucongris) – tous les deux dans la première édition similibois (la Woodgrain) d’OD&D ; « Elementals and the Philosopher’s Stone (Élémentaires et la pierre philosophale) », de Jeff Swycaffer (article paru dans Dragon Magazine nº 27, p. 27-28) ; « Playing on the Other Planes of Existence (Jouer dans les autres plans d’existence) », de Gary Gygax (article paru dans Dragon Magazine nº 32, p. 12-13) ;
1980 :
Mystara (dans le module X1, The Isle of Dread – L’île de la terreur) ;
Lankhmar (dans le supplément Deities and Demigods – Divinités et demi-dieux) ;
1981 :
Fiend Folio (Le folio des fiélons) ; « Down-to-earth divinity : One DM’s design for a mixed & matched mythos (Des divinités plus terre-à-terre : la conception d’un MD pour un mythe entremêlé et adapté) », d’Ed Greenwood (article paru dans Dragon Magazine nº 54, p. 6-9 ; 52-56) ;
1983 :
Ravenloft (Bougeproye
5, dans le module éponyme) ;
Monster Manual II (Le manuel des monstres II) ;
1984 :
Pelinor (Pélinor, un monde, surtout une cité-état, développé par la branche anglaise de TSR dans leur magazine Imagine à partir du nº 16) ;
Dragonlance (Lancedragon) ;
1986 : Kara-Tur (à partir du scénario « Swords of the Daimyo ; Les sabres du daïmio », qui s’appuie sur le supplément de 1985, Oriental Adventures – Aventures orientales
6) ;
1987 :
Forgotten Realms (Les Royaumes oubliés, décor de campagne) ;
The Manual of the Planes (Le manuel des plans) ; « Plane Speaking : Tuning in to the Outer Planes (Parlons des plans : s’adapter aux Plans extérieurs) » de Jeff Grubb (article paru dans Dragon Magazine nº 120, p. 42-43) ;
1988 :
Tales of the Outer Planes (Les contes des Plans extérieurs, recueil de scénarios).
03- Fort Kalvis, près de la Grande Plaine d'ivoire, sur Dark SunD&D, AD&D 2 et 2.5 (20 références)
1989 :
Dungeon Master Guide (Le guide du maître) ;
Spelljammer (Magiter
7) ;
1990 : Hollow World (Le Monde creux, décor de campagne pour Mystara) ;
1991 :
Dark Sun (Soleil sombre) ; Realmspace (Royaumonde pour Spelljammer, décor pour Les Royaumes oubliés) ;
1992 : Al Qadim (décor pour Les Royaumes oubliés) ;
1994 :
Birthright (Lèguesang
8) ;
Council of Wyrms (Le concile des Vermes
9) ;
Planescape (Mondes planaires
10) ;
1996 :
The Planewalker’s Handbook (Le manuel du voyageur planaire) ;
A Guide to the Astral Plane (Guide du Plan astral) ;
On Hallowed Ground (En Terre sacrée) ;
1997 :
Jakandor (monde développé sur trois suppléments) ; Rokugan (univers issu de La légende des cinq anneaux, intégré comme région dans la dernière édition d’Aventures orientales). Ce sera le dernier « monde » développé pour AD&D2 ;
Powers and Pantheons (Puissances et panthéons) ;
1998 :
A Guide to the Etheral Plane (Guide du Plan éthérée) ;
The Inner Planes (Les Plans intérieurs) ;
Demihuman Deities (Divinités demi-humaines) ; Tymora’s Luck (La chance de Tymora, troisième roman de la trilogie des Dieux perdus – The Lost Gods) ;
2000 :
Die, Vecna Die ! (Meurt Vecna, Meurt !).
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Notes
4. Je me suis essayé à traduire en français tous les titres cités, en espérant
a minima n'avoir fait aucun contresens ou fausse interprétation. Cela n'est certainement pas une franche réussite, mais je me suis bien amusé et cela m'évitera aussi quelques répétitions un peu lourdes. « Moor » en anglais a de multiples traductions possibles comme bruyère, marais ou encore lande. J'ai considéré que le verbe, en raison de l'adjectif, n'était pas indiqué. Comme il s'agit d'un cadre de campagne, c'est-à-dire à quelque chose de grand et qui doit renvoyer à un paysage relativement neutre, j'ai choisi lande. Et puis lande porte en lui une petite idée de mystère. Je fais simple et je traduis « black » par noir, surtout en raison de l'ambiance sinistre et apocalyptique de ce décor. Mais on aurait pu choisir rouge (pour le sang). Enfin j'inverse volontairement lande et noire pour éviter « l'an de noire » et parce que la suite « rl » est plus facile à réaliser que « dn », bien qu'une épenthèse du schwa demeure possible (on prononce le « e »).
5. « Raven », ce peut être : corbeau, rapine, mais aussi proie. Je choisis une orthographe datée, proye, pour l'ambiance du décor. « Loft » doit être vieilli. C'est une mansarde, un espace vide en haut d'un bâtiment, dans un état plus ou moins délabré. C'est pourquoi j'opte finalement pour bouge, à la fois une petite pièce de grenier, mais aussi un lieu mal famé. Le bouge de la victime... c'est-à-dire les régions prisons dans lesquelles sont enfermés les arrivants, victimes des puissances du lieu : Bougeproye. En plus, je trouve l'homonymie avec « bouger » plutôt ironique, pour un monde carcéral, bien que leurs étymologies n'aient rien en commun : bouger vient de « bullicare », et bouge de « bulga ».
6. Il est intéressant de noter que l'environnement de Kara-Tur, qui sera par la suite placé à l'est des Royaumes oubliés, apparaît en terme de publication avant le décor de campagne des
Forgotten Realms.
7. Difficile de savoir ce que peut vouloir dire ce terme. Brouilleur de sort ? Il est probable que son origine se trouve dans les « Windjammers », les derniers grands voiliers (comptant de 2 à 4 mâts) de la marine marchande, à l'époque de la transition entre navires à voile et à vapeur. Les marins présents sur les navires à vapeur désignaient alors péjorativement les vaisseaux de leurs collègues sous le terme de brouilleurs, dérangeurs, troubleurs de vent : un troublevent. Puisque les spelljammers sont des navires propulsés par aspiration du fluide magique, dans un univers en partie inspiré de Jules Verne et du steampunk, il est très probable que la référence vienne de là. Comme je trouve Brouillemagie et Troublemagie plutôt moches pour désigner ces navires (et le jeu), j'opte pour le mot valise « magie + agiter » : Magiter, l'activité de magiter devenant la magitation et les magiciens qui s'en servent des Magiteurs. Le terme de spatiomancie est utilisé dans les livrets pour désigner l'activité magique dans l'espace du phlogiston. On pourrait dès lors également l'appliquer au décor de jeu : Spatiomance. Mais une partie du sens disparaît.
8. J'ai pas mal hésité. En soi, c'est facile à traduire : Droit de naissance. Mais je trouve cela peu évocateur. Et puis il n'y a qu'un terme en anglais. Comme c'est la lignée de sang qui confère à ce monde sa spécificité, et que ce droit est une sorte de droit naturel, j'ai pensé à Legs/sang (Lèguesang pour éviter que l'orthographe ne fasse prononcer « leug sang »).
9. Quelle drôle de traduction. Concile existe en français : une assemblée délibérative de personnes. Mais wyrm, non. L'origine du mot semble remonter au proto-indo-européen, *wrmis, qui serait construit sur la racine *wer qui, peut-être, pourrait signifier brûler, peut-être. De là, se serait construit en latin vermis et en proto-germanique *wurmiz, qui donnera en allemand, wurm (le ver, le dragon) et en vieil anglais, wyrm (on tient notre mot). C'est donc un sens possible pour ver, terme qui est parfois utilisé pour désigner les dragons (c'est ainsi que les dragons de Tolkien, comme Glaurung, seront traduits). D'après le Duden, le terme de wurm vient du « moyen haut allemand qui provient du vieux haut allemand lint = serpent, dragon, soit de manière plus précise = un dragon serpent ». Le mot le plus approchant en français est vouivre, mais son sens a trop fortement évolué. Il nous reste donc lindworm/lindorm ou ormr pour traduire wyrm. Le problème d'ormr, c'est la phonétique, qui fait penser à l'arbre ou au prénom, avec le pluriel ormar. Et lindworm est assez long, sans réel renvoi au français. Or, entre vermis et ver, en ancien français, on trouve verm ou verme. Et comme wyrm, c'est du vieil anglais, je crois que l'on tient là la bonne équivalence, d'autant qu'il s'agit de désigner non une espèce (les dragons), mais un titre, celui de wyrm/verme, conféré aux dragons ayant le niveau le plus élevé, celui qui permet d'avoir une voix lors des conciles.
10. Planescape, c'est-à-dire « plane + scape », est un mot qui renvoie à « landscape », soit paysage. Le suffixe « -scape » en anglais « porte l'idée de scène, de vue, de paysage, d'environnement » (Wiktionnaire). Une traduction assez littérale nous donnerait quelque chose comme Planorama. Mouais. Le terme « soundscape » renvoie à une ambiance sonore, « seascape » à paysage marin et « streetscape » à paysage urbain. Une traduction possible serait donc Paysage planaire. Mais on passe d'un à deux mots, et de trois à cinq syllabes. Il n'y a pas de traductions faciles ou qui me plaisent. J'opte pour Mondes planaires qui reste assez général pour englober l'idée de paysage, de décor, mais aussi de ses habitants, ce que finalement paysage ne pourrait rendre aussi efficacement. Je ne parviens par contre pas à en faire un mot-valise satisfaisant.
4- Une lune lointaine de la sphère de Warren, entre Le foyer mystaran et Fodruin*D&D 3 et 3.5 (13 références)
2001 : Forgotten Realms (Les Royaumes oubliés) ;
Deities (Divinités, supplément PDF officiel) ;
Manual of the Planes (Le manuel des plans) ;
Kingdoms of Kalamar (Les royaumes de Kalamar, décor indépendant publié en 1994, avant d’être repris et intégré à D&D) ;
2003 :
Dungeon Master Guide 3.5 (Le guide du maître) ;
Player’s Handbook 3.5 (Le manuel des joueurs) ;
Ghostwalk (Revenâme
11, un univers/jeu en un seul livre – et qui permet de développer le Plan éthéré) ;
Warcraft, the Roleplaying Game (L’art de la guerre, le jeu de rôle), adapté du jeu vidéo en ligne massivement multijoueur ;
2004 :
Player’s Guide to Faerûn (Le guide du joueur de Féérune/Faérûne
12) ;
Eberron (Éberron) ;
2005 : The Halfing Gem (Le joyau du Petit-Homme/Halfelin
13, troisième roman de la trilogie du Val Bise) ;
2007 :
The Grand History of the Realms (La grande histoire des Royaumes, produit officiel réalisé à partir du travail de compilation d’un passionné) ; « Countdown on the Realms : Years of the Ageless One (Compte-à-rebours sur les Royaumes : les années de l’Éternel) », article de Richard Baker pour annoncer D&D4, paru dans Dragon Magazine nº 362, p. 3.
05- Tempestuosa, au large de la côte septentrionale de l'Aundair, sur Éberron*D&D 4 et D&D Essentiels (18 références)
2008 : Plague of Spells (La peste des sortilèges), premier roman de la trilogie de La souveraineté aboléthique – Abolethic Sovereignty ; « Spellplague : the Wailling Years (Magepeste : les années gémissantes) », article de Brian R. James paru dans Dragon Magazine nº 362 ; Undead (Morts-Vivants
14), second livre de la trilogie Les Terres hantées – The Haunted Lands ;
The Monster Manual (Le manuel des monstres) ; Forgotten Realms (Les Royaumes oubliés) ;
Manual of the Planes (Le manuel des plans) ; The One and Only : Ask the Realms Authors/Designers thread (le sujet Le seul et l’unique : demandes aux designers et auteurs des Royaumes), forum où Richard Baker répond aux questions, comme par exemple : « The editors pushed hard to get FR as close to core D&D terminology as they could » (Les éditeurs mettent la pression pour que Les RO se rapprochent, terminologiquement parlant, le plus possible du système de base) ;
2009 : « Gontal : Dominions of Nehu » (Gontal : les Dominions de Nehu), de Chris Young, article paru dans Dragon Magazine nº 375, p. 78 ; The Crystal Mountain (La montagne de Cristal), troisième roman de L’odyssée empyréenne – The Empyrean Odyssey ;
2010 :
Nentir Vale (La vallée de Nentir, décor de campagne par défaut pour la gamme D&D4 Essentiels, et qui est décrit pour la première fois dans le Dungeon Master’s Kit – Le kit du maître de donjon
15) ; The Captive Flam (La flamme captive), premier roman de la trilogie de La fraternité du Griffon – Brotherhood of the Griffin) ; Psionic Power (Les pouvoirs psioniques) ; « A Legacy in Shadow : Shadar-Kai in the Realms (Un héritage de l’ombre : Shadar-Kai dans Les Royaumes), de Steve Winter, paru dans Dragon Magazine nº 391, p. 14 ;
2011 :
Neverwinter Campaign Setting (Padhiver, décor de campagne) ;
2012 :
Heroes of the Elemental Chaos (Les héros du Chaos élémentaire) ; The Sundering (La Fracture), article internet de Paul S. Kemp ; Elminster Enraged (Elminster enragé), troisième roman de la trilogie du Sage de Valombre – Sage of Shadowdale ;
2014 :
The End and the Beginning (La fin et le commencement), scénario de jeu pour la campagne Vivre Les Royaumes oubliés (Living Forgotten Realms) et venant conclure 6 années de campagne Jeu organisé pour D&D (D&D Organised Play).
6- Halruaa et ses obélisques de magie entropique*D&D 5 (13 références)
2014 : The Reaver (Celui qui ôte), quatrième roman de la série La Fracture – The Sundering ; Fire in the Blood (Sang embrasé), quatrième roman de l’hexalogie Des anges de soufre – Brimstone Angels ; Neverwinter (Padhiver), jeu de rôle en ligne massivement multijoueur ;
Player’s Handbook (Le manuel du joueur) ;
Dungeons Master (Le guide du maître, où l’on pourra notamment lire au chapitre 2 que « The inhabitants of each world in the Material Plane have different ways of imagining the multiverse (Les habitants de chaque monde dans le Plan matériel ont des façons différentes d’imaginer le Multivers) » ;
2015 :
Sword Coast Adventure Guide (Le guide de l’aventurier de la côte des Épées) ; Ashes of the Tyrant (Les cendres du tyrannœil
16), cinquième roman de l’hexalogie Des anges de soufre – Brimstone Angels ;
2016 : The Devil you Know (Le diable que tu connais), sixième roman de l’hexalogie Des anges de soufre – Brimstone Angels ;
2017 :
Tomb of Annihilation (La tombe de l’anéantissement) ;
2018 :
Waterdeep : Dragon Heist (Eauprofonde : le vol des dragons) ;
Ravnica (entrée du Multivers de Magic, l’Assemblée (Multiverse of Magic : The Gathering) dans D&D5, avec Le guide du maître de guilde de Ravnica – Guildmaster’s Guide to Ravnica) ;
2020 :
Théros (suite de l’inclusion des Plans décalés (Plans Shift, pour ne pas confondre le concept avec le sort du même nom, Changement de plan) de Magic, l’Assemblée, avec Les odyssées mythiques de Théros – Mythic Odysseys of Theros) ;
Exandria (dans le décor de campagne du Guide de l’explorateur de Montsauvage – Explorer’s Guide to Wildemount).
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Notes
11. Alors oui, on pourrait simplement le traduire par La marche des fantômes. Mais je trouve cela un peu ridicule. Le problème, c'est « walk » qui peut dire mille et une choses : promenade, randonnée, rentrer, démarche, pas, allée, sentier, marcher, parcourir, accompagner, traverser pour les piétons, voire même somnambulisme et pour les fantômes, apparaître. Évidemment, un anglophone va ressentir toutes ces possibilités dans le « walk » du fantôme. Comme l'idée du jeu est davantage de se réincarner dans un corps, je trouve le concept d'âme plus pertinent. Et comme cette âme ne cesse de revenir encore et encore, Revenâme m'a semblé être un bon mot-valise, avec en plus l'idée de retour (revenir), de répétition (re-) et de mort-vivant : le revenant.
12. Les deux orthographes existent. D&D5 a officialisé Faérûne, que je conserverai désormais si besoin.
13. Il existe de très nombreuses traductions pour éviter le mot « Hobbit » : Tinigens, Petite-Gens, Semi-Homme, Petit-Homme et Halfelin. Je conserve la dernière qui est celle utilisée dans l'édition D&D5.
14. Au pluriel puisqu’il s'agit d'une invasion de morts-vivants dans la magiocratie de Thay.
15. On dit maître de guilde et pas de la guide, on devrait dire maître de donjon et pas du donjon. Article en préparation.
16. Je dois reconnaître que l'emploi de la majuscule pose ici un problème. On met une majuscule aux peuples, mais aussi aux espèces lorsqu'il s'agit de les désigner de manière absolue : un mammifère de l’ordre des Primates, les Mammifères du Crétacé. Mais il y a une incertitude pour le genre et l'espèce des animaux et des plantes, la minuscule semblant gagner du terrain : le Grand Héron ou le grand héron. Le soucis, c'est que nous avons affaire à des races imaginaires pensantes : tyrannœil, dragon, gnoll, phaérimm, elfe... Que faire ? Je pourrais décider que seules les espèces jouables bipèdes y ont le droit : l'individu était un ambassadeur des Saurials, des Nains, des Demi-Orques. Ou bien que toutes les espèces pensantes organisées en société et disposant d'une culture (art et rituels) et d'une langue de communication, y sont éligibles. Le français n'étant pas fan des majuscules, je coupe la poire en deux en considérant que toute espèce réputée jouable (des règles ont été prévues pour qu'un joueur puisse les interpréter) pourra prendre une majuscule.
7- Théros, la cyclopéenne*Les premières apparitions des plans d’existence remontent aux livres d’origine, ceux de OD&D, et à leurs quelques suppléments. Dans le
Men & Magic (
Hommes & magie), il existe un sort de magicien qui y fait référence : Contact avec un autre plan. Il présente les plans comme une succession de strates empilées les unes sur les autres, de plus en plus lointaines, de plus en plus inaccessibles et de plus en plus dangereuses, au fur et à mesure que l’on se rapproche d’entités plus ou moins ultimes peuplant ces lieux inaccessibles. Dans
Monsters & Treasure (
Monstres & trésor), une créature existe dans « un univers extra-dimensionnel », le traqueur invisible. Nous sommes en 1974. Puis dans le supplément
Faucongris (de 1976), nous trouvons deux sorts : Seuil, qui permet « d’ouvrir un portail cosmique et offre à un être surpuissant (Odin, Crom, Seth, Cthulhu, Celui qui brille, un demi-dieu ou quoi que ce soit d’équivalent) la possibilité de venir sur ce plan », et Sort astral, qui autorise « l’utilisateur à projeter sa forme astrale hors de son corps vers d’autres endroits », faculté que les prêtres et les psioniques, dans le supplément
Magie d’ailleurs (
Eldritch Wizardry) reçoivent également. Ainsi les plans sont-ils bien nommés, mais jamais expliqués. On apprend qu’il y a un Plan astral, un Plan éthéré
17, des univers extra-dimensionnels et d’autres plans, vaguement effrayants. Comme on peut donc le lire, les effets précèdent les concepts. Face à cette carence évidente, Gary Gygax va se fendre en 1977 d’un long article sur les plans, dont je vous traduis l’introduction : « Pour les besoins du jeu, le MD doit supposer l’existence d’un nombre infini de plans coexistants. Le plan naturel pour les formes de vie de type être humain est le Plan matériel primaire. De fait, un certain nombre de plans touchent celui-ci et sont accessibles plus ou moins facilement. Ces plans sont les suivants : les Plans matériels négatifs et positifs, les Plans élémentaires (air, terre, feu, eau), le Plan éthérée (qui coexiste dans exactement le même espace que le Plan matériel primaire) et le Plan astral (qui déforme la dimension que nous connaissons sous le nom de longueur [distance]). Les Plans supérieurs typiques sont les Sept-Cieux, les Paradis-Jumeaux et l’Élysée. Le plan de la loi ultime est le Nirvana, tandis que les Limbes sont le plan du chaos ultime (l’entropie). Les Plans inférieurs typiques sont les Neuf-Enfers, les trois ténèbres de l’Hadès, et les 666 strates des Abysses. ».
8- Le traqueur invisible
9- Première représentation schématique des plansOn pourra dire ce que l’on veut, mais en 1977, Gygax venait de fixer la structure du Multivers de D&D, structure qui évoluera, mais assez faiblement au regard des bases qu’il venait d’élaborer. Peu de changements seront visibles dans les règles d’AD&D1, comme les sorts qui demeureront relativement identiques (éloignement physique des plans, disparition de Cthulhu, de Crom, apparition des Plans élémentaires). Cet article n’aura finalement comme conséquence qu’une double page (une page de texte, une de schémas) sur l’organisation des plans d’existence dans
Le manuel des joueurs. Au centre se trouve le Plan matériel primaire (ou Plan primaire, Plan matériel, Primaire), encadré de six Plans élémentaires, le tout baigné par le Plan éthéré, qui « entoure et touche tous les autres Plans intérieurs et les mondes parallèles sans fin de l’univers sans jamais faire partie d’aucun d’eux ». Le Plan astral, lui « s’étend du Plan matériel primaire en un non-espace où des vortex sans fin spiralent vers les plans matériels primaires parallèles, ainsi que vers les Plans extérieurs […] dans lesquels vivent des êtres surpuissants, les origines des alignements (idéaux religieux, philosophiques ou éthiques) et les divinités ».

10- Les Plans élémentaires

11- Les Plans extérieurs au sein des autres plans

12- Les Plans extérieurs, organisation
Ce que l’on peut retenir de cette première vision des plans, c’est que ceux-ci sont présentés comme une extension de l’univers. Ce sont soit des couches qui s’égrènent, de plus en plus distantes, avec un centre, le Plan matériel ; soit une construction circulaire, comme le système solaire, avec deux liants entre ces « orbites » planaires que sont l’Astral et l’Éthéré. Seules deux idées seront rejetées : celle du Plan éthéré qui coexisterait « dans exactement le même espace que le Plan matériel primaire », et celle de la dimension longueur, étirée, qui deviendra dans l’Astral, un non-espace (sans plus d’explication).
Le manuel des joueurs prend le parti de superposer les plans et non plus de les imbriquer ou de les déformer. C’est en faite l’idée de dimension qui s’efface pour ne conserver que celle de plan. Enfin, notons la présence des univers parallèles qui dupliquent à l’infini le Plan matériel. Cela suppose une infinité de plans primaires et une unicité des autres plans, toujours les mêmes quelque soit le plan matériel à partir duquel on les atteint/contacte.
On peut dès lors s’interroger : ne pourrait-on pas passer d’un plan matériel à un autre par les plans astral ou éthéré ? Il faudra attendre 9 ans pour avoir la réponse.
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Notes
17. On écrira les Plans extérieurs, le Plan astral, le Plan éthéré d'abord parce qu'il s'agit d'une antonomase pour dire l'Astral, l'Éthéré, les Extérieurs. Ensuite, parce qu'il ne s'agit pas vraiment ici d'une dénomination administrative, comme avec La Côte d'Ivoire, mais d'une catégorisation « astronomique », cosmologique. Et dans ce cas-là, c'est uniquement le premier substantif qui porte la majuscule, et éventuellement l'adjectif placé devant, à condition de désigner un lieu spécifique et non une généralité. Par contre, les appellations des régions au sein de ces plans suivront les règles des dénominations administratives ou politiques.
13- Entrée dans Méchanus, le plan des modrons*Cette vision du « monde » va être conservée très longtemps. Jusqu’ici, aucun des mondes conçus pour D&D ne prenait véritablement la peine d’expliquer le modèle cosmologique dans lequel il s’inscrivait ; il y avait les règles de base pour cela. Nous avions donc des terres, des races, des dieux, de la magie et voilà, on pouvait jouer, car chaque univers de jeu était réputé indépendant les uns des autres. Blackmoor, à l’époque, n’était pas exploité (et de tout façon, ce monde/cette région allait devenir le passé de Mystara), Pélinor était resté anecdotique, Kara-Tur allait être relié à l’univers de Toril et Ravenloft n’était pas considéré comme un demi-plan, mais juste une zone de décor pour un scénario. On avait donc Lankhmar, Faucongris, Mystara (au sein duquel la boîte Compagnon allait en 1983 reprendre dans les grandes lignes la cosmogonie telle que présentée dans Le manuel des joueurs), Les Royaumes oubliés et Lancedragon. Chacun de ces univers était un plan matériel primaire, unique, central, et surtout sans lien, sans connexion avec les autres. Et l’arrivée du
Manuel des plans en 1987 n’allait pas changer la donne, mais bien consolider cette première exposition planaire, puisqu’il parlait des plans matériels primaires comme autant de mondes alternatifs plus ou moins semblables à la Terre, qu’ils avaient tous un même accès aux autres plans, et qu’il considérait ces fameux plans structurés à l’identique autour de leur plan matériel particulier. Ce manuel proposait les plans maintenant habituels : le Plan éthéré, qui permettait d’atteindre les Plans intérieurs (nouvelle appellation officielle, enfin, je crois), et le Plan astral, qui donnait accès aux Plans extérieurs. Un premier changement nous est venu du Plan éthéré dont la bordure devenait à présent unique pour chaque plan primaire concerné et empêchait ainsi le voyageur, en raison de l’affinité de cette bordure avec ce dernier et son plan d’origine, d’atteindre d’autres plans primaires en passant directement par l’Éthéré. Ce qui répondait finalement, à 10 ans de distance, à notre question. Il fallait d’abord atteindre les Plans intérieurs puis de là, sélectionner une bordure éthérée qui permettait de gagner un autre plan primaire. Et ici nous pouvons déjà nous poser une autre question : est-ce que le « plan » éthéré en est vraiment un ? Il est tellement relié au plan primaire que l’on est en droit de se demander s’il n’en fait pas partie, et s’il ne serait pas une simple strate supplémentaire expliquant comment le Plan primaire est en contact avec les Plans intérieurs.
14- Le Plan éthéré, sa bordure, ses rideaux de lumière
15 et 16- Les plans intérieurs vues depuis les pôles positif et négatif ; Les plans intérieurs vues depuis les pôles terre et air
17- Représentation traditionnelle des plansIl était également proposé quatre demi-plans, les tout premiers : de l’ombre, du temps, de l’électromagnétisme et de l’emprisonnement. Nous y reviendrons plus tard. Puis il y avait les 18 Plans élémentaires (issus des réflexions de Gygax dans ses articles pour Dragon Magazine), qui sont la grande nouveauté de ce supplément – para-élémentaires (à côté de, pas complètement), quasi-élémentaires (presque), élémentaires de l’énergie, et élémentaires supérieurs. Ils ne pouvaient être atteints que par un vortex depuis le Plan primaire, ou depuis le Plan éthéré. L’Astral, lui, ne possédait pas ce genre de frontières (bordure, profond). Il offrait un accès direct entre les plans matériels primaires, pour qui parvenait à survivre physiquement à la traversée. On finissait avec la descriptions des Plans extérieurs, présentés comme une Grand-Roue, notion qui allait servir de base, d’assise à la cosmologie future de D&D. Il y avait à présent 17 plans au lieu de 16 – l’Opposition concordante en plus –, correspondant à 17 types d’alignement différents (oui, 17, et non 9, en sachant que 50 alignements sont possibles, et que personnellement, j’en identifie 53, en rajoutant trois types de neutre – mais c'est ma « cuisine personnelle »). Les puissances, et assez rarement les panthéons, s’y regroupaient donc à la fois par alignement respectif, mais aussi par domaines ou maisons, ce qui fait que dans le plan extérieur de l’Élysée pouvait à la fois être présents Isis (égyptien), Ishtar (babylonien), Enlil (sumérien), Ushas (védique) ou Bragi (viking). Nous nous retrouvons donc avec un total de 42 plans (en comptant les demi-plans), repliés autour d’un seul Plan matériel primaire, puisqu’il est bien précisé que la magie ne permet pas de se transporter d’un plan primaire à un autre, et que le plan éthéré d’un autre plan primaire est désigné comme un plan éthéré alternatif.
18- Ygorl, seigneur slaad de l'entropie, arpentant les Limbes*
19- Ushas, déesse de l'aurore enflammant le ciel de l'Élysée*En 1989, une nouvelle mouture des règles est proposée pour les joueurs d’AD&D. Afin d’expliquer les changements effectués (disparition de certaines classes/races jugées discutables comme l’assassin, dédiabolisation du jeu en supprimant les références aux symboles satanistes, aux diables et aux démons
18, modifications des règles de combat, réorganisation des classes de personnages, prise en compte des compétences...), plusieurs produits vont être publiés. Pour Les Royaumes oubliés, cela commence avec
Hall of Heroes (
Le hall des héros), se poursuit avec la trilogie du
Temps des Troubles et son pendant scénaristique en trois partie :
Valombre,
Tantras et
Eauprofonde, et s’achève avec quelques comics ; et il y aura le scénario
Le destin d’Istus (
The Fate of Istus), répartit en 10 modules (un par classe de personnage), pour l’univers de Faucongris.
Sur Toril, deux divinités dérobèrent les Tablettes du destin au surdieu, Ao. Celui-ci était déjà mécontent, notamment en raison du peu d’intérêt que portaient les divinités à leurs fidèles. Pour les punir, il les bannit tous sous la forme de leur avatar sur Toril, exigeant le retour des Tablettes. Les ravages engendrés par cette Guerre des avatars (mort/disparition de certains dieux, modification de la magie, etc.) eurent – pour nous – une conséquence intéressante : un lien entre les puissances et leurs fidèles fut instauré. Ainsi le nombre de fidèles pour une divinité devenait-il un élément fondamental de son statut, et en retour, les prêtres perdaient un accès universel à leur magie cléricale, celle-ci étant remplacée par des sphères. En quoi est-ce intéressant ? Et bien pour simplifier, auparavant, les manipulateurs de la magie se connectaient à la Toile pour réaliser leurs opérations magiques. Après le temps des Troubles, outre une magie moins puissante, ce sont les dieux qui accorderont à leurs prêtre l’accès à leur magie. Alors il demeure la question de savoir s’ils le font directement (depuis les Plans extérieurs vers le Plan matériel primaire, ce que je pense) ou indirectement (ils leurs concèdent un accès régulé et spécifiques à la Toile). Toujours est-il que c’est l’apparition de ce lien que nous devons conserver dans un coin de notre esprit.
20- Mystra et la Toile
21- Le surdieu AoSur Faucongris, Istus est la déesse incolore et multicolore du destin, à la fois révérée et fort crainte, mais avec très peu de prêtres à son service, en raison de la cruauté et de la malveillance dont on pare le destin, la divinité n’échappant pas à l’opinion générale. Certains chercheurs supposent que la demeure d’Istus est un univers de poche nommé La Toile du destin, accessible par un point nodal, relié à tous les univers et ouvert aux seules entités en lien avec la destiné (source, Dragon Magazine nº 69, article de Gygax). Ce micro-univers existerait au-delà des plans d’existence connus (et il ne sera pas le dernier). Or Istus n’est pas satisfaite de la manière dont les sociétés évoluent. Elle désire changer cela, tout en laissant aux êtres vivants leur libre-arbitre dans l’élaboration des modifications à venir. Ce seront leurs choix et leurs actions qui détermineront ces transformations. C’est pourquoi elle met en place une série de dix épreuves que devront réaliser un groupe d’aventuriers, représentatifs du monde, lors d’une quête pour trouver un remède contre un mal effroyable, la peste rouge, qui commence à ravager Greyhawk. À la fin des épreuves, et en fonction des résultats, Istus réorganisera Faucongris (qui sera dès lors en accord avec les nouvelles règles de D&D).
Quand au fond qui nous occupe, la cosmologie des plans, rien n’allait changer. La structure demeurait identique en tout point. Que cela soit Le guide du maître de 1989 ou celui de 1995, la description des plans, sur une page, restait fondamentalement celle de 1977.
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Notes
18. Ce qui, de mon point de vue, fut une excellente chose. Non pas que j'aie le moindre problème à proposer une description des résidents des Enfers. Mais cela me paraît assez léger, pour un univers de fantasie, de faire reposer son environnement maléfique sur des concepts judéo-chrétiens. L'irruption des tanar'ris (démons), baatezus (diables), yugoloth (daémons) permet de s'écarter de ce modèle et d'explorer ainsi d'autres pistes narratives, d'autres environnements de jeu, même si dire que les tanar'ri sont des démons, sans définitions plus précises que cela, a pour conséquence que ce modèle se mord un peu la queue.
22- En route vers de nouveaux mondes*Mais deux ans plus tard allait sortir
Spelljammer, et plus rien n’allait être pareil. Le fameux D&D dans l’espace reprenait pour lui des concepts anciens : les sphères de cristal des philosophes grecs – le géocentrisme (il y a de nombreuses modélisations différentes, jouant sur les axes, le nombre de sphères, leurs mouvements...) et sur la phlogistique de Becher et Ernst-Sthal, notion imaginée vers la fin du XVIIe siècle. Ce nouveau décor de jeu agrandissait d’un seul coup le Plan matériel primaire en le décrivant comme baigné d’une substance miroitante à l’intérieur de laquelle flottait d’immenses sphères d’une matière inconnue et indestructible. Ces dernières contenaient chacune un univers (de jeu), dont les trois principaux étaient nommés : Krynn, Abéir-Toril et Œrth (ou Tærre), encapsulant ces différents mondes. Et contrairement à ce qui parfois peut se lire ou s’entendre, cette notion ne fut jamais véritablement abandonnée, bien que la gamme
Spelljammer s’arrêta définitivement en 1993 (avec
The Ultimate Helm –
Le heaume ultime, sixième roman du cycle du
Maître de La cape –
The Cloakmaster Cycle). En effet, la 4
e édition de D&D, dans son
Manual of the Planes présente le magitère comme un moyen de transport entre les mondes (plusieurs paragraphes lui sont consacrés), et même D&D5, dans l’aventure
Waterdeep : Dungeon of the Mad Mage (
Eauprofonde : le donjon du Mage fou, c’est-à-dire Alister Manteaunoir et son labyrinthe géant), met en scène au 19
e niveau un vaisseau spelljammer, un nautiloïde, et son équipage illithids (les anciens flagelleurs mentaux). Ce qui veut dire que malgré tous les remaniements ultérieurs de la cosmologie, la notion d’un seul et unique plan matériel primaire allait être conservée. Sans entrer dans les détails du spelljamming, regardons quelles sont ses grandes caractéristiques. Tout d’abord, sur le fond, l’idée des concepteurs était d’offrir, je cite, un « cadre [...] pour se connecter aux Royaumes, à Krynn et à Greyhawk sans jamais interférer avec aucun de ces mondes de jeu ». Le principe a donc été de mettre à disposition des joueurs une connexion physique entre les mondes (la diégèse du jeu), tout en laissant ces derniers isolés de manière extra-diégétique – pour laisser les coudées franches aux développeurs, non contraints par les spécificités des autres univers-mondes (la technologie – les phasers de Noirelande ; les panthéons – absents de Soleil sombre ; la résurrection permanente – particulier à Revenâme). Ce qui aboutira aux suppléments de
Royaumonde,
Krynemonde et
Grimonde. Et c’est fondamentalement un principe toujours actuel. Le second fut de supprimer tout besoin de justification scientifique : « voyager rapidement à travers l’espace amena les timons de spatiomancie et, avec eux, nous nous sommes pleinement libérés de la science réelle, et commencions à créer de la « science-fantasie » qui possédait ses propres règles et lois ». Ce qui ne voulait pas dire faire n’importe quoi. Tout d’abord, l’univers réel devint un espace emplit de phlogiston, environnement permettant de relier entre-eux tous les mondes connus et inconnus. On comprend la radicalité du propos. On passait d’une infinité d’univers parallèles à une infinité de sphères de cristal au sein d’un seul et même univers. D’un nombre infini, le Plan matériel primaire fut ramené à 1.
23- les sphères de cristal*
24- Formation nautiloïdes de la Nation illithideLe phlogiston n’est pas un élément ; il n’y a donc pas de plan élémentaire qui lui est dédié. Il ne peut exister simultanément avec l’espace des sphères de cristal, mais il accepte la matière en son sein, puisque des magiters se déplacent dans le phlogiston. Pourquoi ? Ce n’est pas dit. Mais il y avait bien un nouveau paradigme cosmologique : le vide des sphères n’est pas celui du vide du phlogiston et les deux ne coexistent pas. Ce qui nous ramène à nous reposer cette question sur la nature du Plan éthérée, du Plan astral, du phlogiston. Or, et c’est regrettable, si
Le guide du Plan éthéré (
A Guide to the Ethereal Plane), nous indique bien que la bordure éthérée touche chaque région de chaque sphère de cristal, en revanche savoir si « la bordure touche ou non des zones sur le Plan primaire entre les sphères de cristal [comprendre, le phlogistion], reste inconnu » (
Planescape). Volontairement, on ne va pas plus loin que ce que l’on sait déjà et les concepteurs des différents univers de jeu n’ont pas souhaité aborder les thématiques de fond : pourquoi le phlogiston, qu’est-ce que le phlogiston, pourquoi des sphères de cristal, comment se fait-il, alors que l’Éthéré est en contact avec le Plan primaire et que ce dernier le soit avec l’Astral, que l’Astral et l’Éthéré ne soit pas en contact, etc. ? Pour le dire autrement, les auteurs ont juxtaposés des environnements de jeu et ainsi ils ont mis à la disposition des joueurs et du MD des moyens de passer d’un environnement à un autre, sans trop expliquer pourquoi c’est comme cela. On se retrouve donc avec une description à la fois physique et linéaire, comme on décrirait sur Terre, le ciel, des montagnes, des déserts, des cavernes, la mer, le noyau en fusion, avec des méthodes pour passer rapidement d’un environnement à l’autre. Mais on ne justifie jamais leur ordonnancement, ni les règles qui les structures (d’ailleurs les exceptions sont légions, comme avec ces sphères de cristal inatteignables pour ne pas dénaturer un décor de jeu précis, tel
Dark Sun ou à présent
Krynn – qui jusqu’alors était ouvert
19).
25- Le phlogiston vu depuis l'Éthéré*À suivre...
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Notes
19. Développement avec lequel je suis en parfait désaccord. L'intérêt de
Spelljammer, c'est de pouvoir naviguer entre les univers de jeu, et ce avec d'autant plus d'envie qu'ils sont différents. Supprimer cette possibilité parce que cela « perturbe » le décor, parce que c'est compliqué à mettre en place, génère des incompatibilités, c'est ôter l'un des attraits de cet environnement de campagne.
Questionnements pour la suiteÀ présent, quelques questions, quelques pistes de réflexion pour les développements ultérieurs :
Plans = strates ?
Qu’est-ce qu’un univers extra-dimensionnel ?
L’accès : sorts, mentalisme, portes/portails/vortex/trous/moires ;
Gygax : idée que les plans coexistent → même lieu, même temps, nature différente ;
Gygax : plans qui se touchent (frontières communes) ;
Chaos ultime = entropie ?
Éthéré : contact avec les Intérieurs, les mondes parallèles ;
Astral : un non-espace où des vortex conduisent aux mondes parallèles ;
Astral : contact avec les Extérieurs ;
Les origines des alignements ... qu’est-ce que cela veut dire ? Y aurait-il un plan plus profond organisé en alignement, en éthique, en émotions ? Plus profond encore, avant les émotions ?
Dimension qui s’efface : ils conservent l’idée de plan ;
Nature de l’Éthéré - un plan ? Mais alors qu’est-ce qu’un plan éthéré alternatif ?
Connexion dieux - prêtres ;
Univers au-delà des plans d’existence connus : univers lointain, le Vide sauvage (dernière idée qui ne me plaît pas) qui entoure le phlogiston ;
Le plan matériel porte-t-il bien son nom, s’il est baigné de phlogiston qui n’est pas de la matière ? Et d’ailleurs, de quoi s’agit-il ? L’Éthéré touche-t-il le phlogiston ? Pourquoi le phlogiston ? Qu’est-ce que le phlogiston ? Pourquoi des sphères de cristal ? Comment se fait-il, alors que l’éthéré est en contact avec le plan Primaire et que ce dernier le soit avec l’astral ?
Pourquoi l’astral et l’éthéré ne sont pas en contact ?
Iconographie0- https://www.deviantart.com/arthurblue/art/The-Three-of-Cassiopeia-400406270
1- https://sciencemysterieuse.com/univers-cosmologie/la-magie-du-cosmos-univers-ou-multivers/
2- https://theartofanimation.tumblr.com/post/87130952443/%E5%86%B7%E8%A1%80%E7%8E%8B%E5%AD%90 (auteur inconnu)
3- https://twitter.com/guthay/status/612820577959718914
4- https://www.scientificamerican.com/espanol/noticias/tres-nuevos-mundos-en-una-estrella-cercana-animan-la-busqueda-de-vida/
5- http://www.alayna.net/portfolio.html
6- https://www.deviantart.com/seerlight/art/Obelisk-Gorge-707336110
7- https://www.deviantart.com/flaviobolla/art/The-old-Colosseum-485355895
8-
Pathfinder, le jeu de rôle, p. 274.
9- Plans extérieurs (Dragon Magazine n° 8 ).
10, 11, 13-
Le guide du joueur, AD&D1.
13- https://www.deviantart.com/jordangrimmer/art/TheFatRat-The-Calling-Official-Artwork-601406277
14, 15, 16, 17-
The Manual of the Plane, AD&D1.
18- https://syllo.cgsociety.org/d8i8/seven-heads-demon
19- https://www.pinterest.ca/pin/479140847828064674/
20- https://sword-coast-1.obsidianportal.com/wikis/mystra-and-the-weave (auteur inconnu)
21- https://www.furaffinity.net/view/36078771/
22- https://www.deviantart.com/alynspiller/art/Alien-Planet-660937780
23- https://www.huffingtonpost.fr/2014/11/05/mondes-paralleles-mecanique-quantique-chercheurs_n_6100662.html
24- https://www.deviantart.com/silverbladete/art/Pirates-of-the-Phlogiston-v4-131610046
25- https://www.deviantart.com/moodyblue/art/Silent-Messenger-742449345