Les Sept Samouraïs (七人の侍, Shichinin no samurai), Akira Kurosawa, 1954Le cadreLe film se déroule dans le Japon féodal, au XVIe siècle, probablement en 1541 [1]. C'est une période trouble : l'époque
Sengoku (戦国時代), l'époque des provinces en guerre. Le pouvoir du shogun Ashikaga est contesté, l'empereur n'a pas de pouvoir réel, les clans se déchirent et luttent pour conquérir le pouvoir. C'est une époque qui voit de nombreux samouraïs sans maître, des
ronin (浪人), faire diverses activités licites ou illicites pour survivre, et des bandes de brigands écument les terres laissées sans protection par les seigneurs affaiblis ou préoccupés par les guerres.
SynopsisPour se défendre contre les raids des brigands, un village décide de recruter des samouraïs. Le salaire est maigre : seulement trois repas par jour pour la durée du séjour. Sept samouraïs répondent à l'appel. Ils organisent la défense du village. Puis, les récoltes étant terminées, arrivent les brigands…
Les sept samouraïs (de gauche à droite) : Gorobei (Yoshio Inaba), Kikuchiyo (Toshiro Mifune), Shichiroji (Daisake Kato), Heihachi (debout, Minoru Chiaki), Katsuhiro (accroupi, Isao Kimura), Kanbei (Takashi Shimura) et Kyuzo (Seiji Miyagichi) L'histoireUne chevauchée de brigands observe un village du haut d'une colline. L'ayant déjà pillé l'automne précédent, ils décident de revenir après les moissons. Cette conversation est surprise par un des paysans qui rameute un conseil de village. Les défaitistes s'opposent à ceux qui veulent se défendre. L'ancien raconte que dans sa jeunesse, il avait vu des samouraïs être recrutés par un village pour le défendre.
Un groupe de villageois mené par Rikichi s'en va donc en ville pour recruter. Après quelques déboires, confrontés à des samouraïs imbus ou alcooliques, ils assistent à une scène étrange : un samouraï, Kanbei Shimada (interprété par Takashi Shimura) se fait raser la tête pour se déguiser en moine et, par la ruse, libérer un enfant retenu en otage par un voleur. Le symbole est fort, car le chignon est un des attributs de la caste guerrière ; c'est le signe qu'il est modeste et pragmatique, et sa réussite indique qu'il est un combattant aguerri. Ils décident donc de lui demander de l'aide ; mais son exploit a également attiré un jeune samouraï de 16 ans, Katsuhiro (Isao Kimura), et d'un samouraï rustre se trimbalant avec un énorme
tachi (sabre de cavalerie) sur l'épaule, Kikuchiyo (Toshiro Mifune). Ils veulent devenir disciples de Kanbei, mais celui-ci éconduit Katsuhiro, car son statut de
ronin ne lui permet pas d'avoir de disciple, et ignore un Kikuchiyo mal dégrossi.
Kanbei est las des combats, mais un des clients de l'auberge lui ouvre les yeux sur la détresse des paysans et décalage entre sa compassion et ses actes (faisant ainsi jouer le ressort de la honte) ; Kanbei accepte donc et se charge du recrutement des autres : Gorobei Katayama (Yoshio Inaba), Shichiroji (Daisake Kato), un ancien compagnon d'arme de Kanbei, Heihachi (Minoru Chiaki), un samouraï hilare qui coupe du bois en échange du couvert, et Kyuzo (Seiji Miyaguchi), un samouraï errant qui recherche la perfection en défiant les autres samouraïs en duel — normalement non mortels, avec des bambous. Devant l'insistance de Katsuhiro, Kanbei accepte qu'il participe, et Kikuchiyo les suit sans leur demander leur avis.
Arrivé au village, l'accueil est glacial : les villageois ont peur des samouraïs, les pères ont peur pour la vertu leurs filles. Mais Kikuchiyo sonne l'alarme et les villageois, persuadés de l'imminence de l'attaque, se précipitent implorer leur aide. Cet acte marque son entrée dans la confrérie d'arme. Kanbei et Shichiroji inspectent le village avec Kastuhiro et établissent la stratégie tandis que les autres commencent à entraîner les villageois. La part d'ombre de certains villageois, et de Kikuchiyo, commencent à poindre tandis qu'une intrigue sentimentale se lie entre Katsuhiro et Shino, une jeune villageoise ; et la tension montant, des disputes éclatent.
Puis vient la confrontation. La victoire est amère, Kanbei conclue le film par « Nous avons perdu. Ce sont les paysans qui ont gagné »
CommentaireJe l'avais vu en 1992, déjà en version longue (3 h 27 ; il avait été auparavant diffusé dans une version de 2 h 20). Et ça a été une reclaque 25 ans après.
Presque 3 h 30, cela peut sembler long, mais il n'y a pas une minute de trop. En fait, il y a trois films en un. La première partie, qui fait quasiment la moitié du film, ressemble fort aux
Bas-fonds (film de Kurosawa de 1957 d'après le roman de Maxime Gorki) : c'est la société féodale vue d'une auberge miteuse, fréquentée par un samouraï alcoolique et des piliers de tripots. Les paysans miséreux sont la lie de la société et sont jugés durement ; les samouraïs sont des fanfarons ou des épaves, parfois des brigands — si les armures qu'ont les brigands ont pu être volées sur des cadavres, l'un d'eux tire à l'arc et est donc un ronin. Les sept samouraïs sont nobles d'esprit, mais ils admettent avoir survécu aux batailles par chance, en se cachant une fois le château tombé, en fuyant les représailles.
La deuxième partie est plus légère, au début, mais là encore Kurosawa se livre à une étude de la société de l'époque. Les paysans sont lâches, roublards et des tyrans domestiques, il achèvent les samouraïs blessés pour leur voler leurs armes et armures, ils cachent des réserves ; mais en même temps, ils sont pressurés par des impôts sans être pour autant protégé par leur daimyo, leurs terres sont ravagées par les guerres et il ne leur reste rien pour vivre après les pillages des brigands. Dans cette partie, les histoires personnelles se révèlent.
La troisième partie est l'âpre combat, mais ce n'est à peine qu'un tiers du film. Les brigands sont isolés du groupe et massacrés un par un par les paysans en colère et regonflés par la supériorité numérique. On y voit une vieille femme brandir sa houe pour achever un brigand ligoté et venger la mort de son fils. Et les pertes sont d'autant plus douloureuses que l'on a appris à connaître et à aimer les personnages.
Au final, ce n'est pas tant un film de sabre qu'un film humain, un film sur les hommes, leur lâcheté, leur courage, leur désespoir. Un film fort en symboles : les villageois qui se content de millet pour offrir le riz à leurs protecteurs, le samouraï qui laisse la femme dont il est amoureux se faire tabasser par son père en éprouvant la honte d'avoir brisé les barrières des castes… Et un film qui remet le samouraï à sa place, loin de l'image d’Épinal de l'abnégation et du sacrifice [2].
Faut-il mentionner qu'il inspirera
Les Sept Mercenaires (
The Magnificient Seven, John Sturges, 1960, puis Antoine Fuqua, 2016) et, hem,
Les mercenaires de l'espace (
Battle Beyond the Stars, Jimmy T. Murakami, 1980).
Note1. Un des samouraïs, Kikuchiyo, exhibe la généalogie d'un enfant de 13 ans et qui est né en l'an 2 du règne de l'empereur Nara.
2. Sur ce point, lire aussi Rich,
Bushido: Way of total bullshit ; mais cet article parle beaucoup de la période Tokugawa, alors que le film se passe un peu avant.