JARDINS D'ORIENT

Dans ces régions désertiques écrasées de chaleur et de lumière, le jardin a une importance primordiale, presque sacrée. Dans le monde musulman, le jardin est un reflet du Paradis, un lieu de paix, de sérennité et de quiétude où l'on vient chercher l'ombre et la fraîcheur. Des générations d'artistes l'ont représenté de multiples façons.

De l'Alhambra de Grenade aux jardins des seigneurs de l'Inde en passant par les jardins de Téhéran et d'Ispahan ou le jardin Majorelle, venez trouver un moment de quiétude au doux bruissement de l'eau, dans le parfum des arums, des iris, des jonquilles et des roses...



C'est l'un des modèles du jardin oriental. Le plus souvent clos pour se protéger du vent brûlant du désert, il obéit à une architecture précise, une structure presque géométrique : le Chahar Bagh (Mot d'origine persane). Il s'agit de configurer le jardin en croix pour le diviser en quatre parties. Sous l'influence de l'Islam, on arrive à huit parties représentant les huit portes du paradis divisées par quatre canaux symbolisant les quatre fleuves de ce même paradis.
La rareté de l'eau est à la base de cette structure, imposant un jardin "à étages" où chaque espèce d'arbre ou de fleur est disposée de manière à recevoir la quantité d'eau qu'elle nécessite. L'eau est apportée par un système élaboré de canalisations, souterrain ou apparent, le Quanat. Il faut y ajouter la Noria, sorte de moulin à eau pourvu d'une grande roue qui permet de monter l'eau et de la distribuer dans les niveaux supérieurs. C'était sans doute le système en place dans les célèbres jardins de Babylone qui étaient étagés en terrasses successives.


L'ombre est aussi primordiale : treillis, tonnelles et petits kiosques se succèdent pour se protéger de l'ardeur du soleil, parfois on a même des passages voûtés bordés d'arcades :


Sans oublier les fameux moucharabiehs qui permettent de filtrer une lumière trop vive :


Que trouve-t-on dans ces jardins ? Les musulmans aiment les fleurs et de nombreuses espèces ornent les massifs au fil des allées : ibiscus, jasmin, roses et chèvrefeuille se taillent la part du lion tandis que du côté de la Perse, on apprécie les iris, les jonquilles, les arums... En Turquie ottomane, la tulipe est reine, les ottomans sont fous de cette fleur : ils la représentent sur leurs faïences et céramiques, les bulbes rares atteignent des prix faramineux au marché noir et Istanbul se pare d'un Festival des Tulipes. A la cour de Soliman, le Maître des bouquets est un personnage important, chargé de disposer ici et là de somptueux bouquets de fleurs fraîches.
Palmiers, cèdres du Liban, platanes et cyprès se déploient pour offrir leur ombre ou stopper le vent poudreux du désert. Du côté des animaux, on trouve des paons (Qui servent également de gardiens par leur sommeil léger et leur cri qui s'entend à plus d'un kilomètre), mais aussi de petites gazelles apprivoisées et quantité d'oiseaux.

L'ensemble est très sensuel, très sensoriel : couleurs, floraison, parfums, bruits de l'eau, jeux d'ombre et de lumière, bourdonnement des insectes... Le jardin est un monde clos, une oasis de paix, d'ombre et de fraîcheur dans un monde désertique et brûlant. C'est très souvent le monde des femmes également, où ces dernières peuvent prendre l'air, se détendre ou jardiner sans être vues. Comme sur cette toile de Carl Frederic Lewis, Dans le jardin du Dey, scène probablement imaginaire, le peintre n'ayant certainement pas pu rencontrer la femme d'un dignitaire dans son intimité et dévoilée...

Le jardin est à l'image du paradis. De l'eau et des fleuves de lait ou de miel, coulant en cascades. Tel qu'il est décrit dans le Coran.

Très beau sujet, VS. Merci.


Tu prendras bien un petit thé à la menthe ?

J'aime beaucoup le côté clos, secret, du jardin oriental... On s'y sent protégé, c'est une oasis, un refuge... Souvent silencieux avec juste le bruissement de l'eau ou le bourdonnement des insectes...
Grand souvenir du jardin Majorelle (Sur lequel je reviendrai) : au sortir des rues poussiéreuses, bruyantes et peuplées de Marrakech, soudain le silence, la tranquillité, la paix...
Ceux de l'Alhambra sont très beaux aussi, surtout quand ils sont en fleurs : le contraste avec l'aridité crayeuse des montagnes au loin est saisissant.

Le jardin mythique de Marrakech et, miracle, pas encore galvaudé ou dénaturé par le tourisme de masse qui s'est emparé de la ville rouge ces dernières années. Incontournable.
Il y a d'abord le peintre Majorelle qui s'achète une palmeraie en 1922, y fait édifier une petite maison, puis l'entoure d'un jardin botanique. Plus tard, c'est Yves Saint Laurent qui tombe amoureux du lieu et l'achète en 1980, le sauvant de la destruction après que la brutale disparition de Majorelle ait laissé l'endroit à l'abandon. Les cendres du grand couturier y reposent d'ailleurs, selon ses dernières volontés.

Le jardin Majorelle, c'est plus qu'une oasis de paix et de quiétude dans une ville surmenée. C'est avant tout un concentré d'espèces rares et exotiques, cactus, yuccas, nénuphars, lotus, nymphéas, jasmins, bougainvillées, palmiers, cocotiers, bananiers, bambous, caroubiers, agaves, cyprès... Mais aussi des bassins, des jets d'eau...
Et puis, il y a la fameuse villa voulue par le peintre et dessinée par le Corbusier dont les murs sont peints de ce bleu intense, vibrant, créé par Majorelle et qui porte aujourd'hui son nom.


Une palette de couleurs vibrantes et éclatantes, une oasis de fraîcheur et de tranquillité à ne rater sous aucun prétexte de passage dans la ville rouge. Malgré plus de 600 000 visiteurs annuels, l'endroit garde toute sa magie. Je déconseille d'y aller en fin d'après-midi : avec la relative fraîcheur qui s'installe, familles avec gamins et touristes débarquent en force... Il vaut mieux braver les heures les plus brûlantes du jour pour être sûr d'y être tranquille.

(Photo de/by Patrick Ringgenberg)

Il est très présent sur les célèbres miniatures persanes, mais aussi dans la littérature, sur les tapis et les gravures. Là aussi, on retrouve cette notion de jardin sacré, de Paradis. Le mot persan signifiant "espace clos" pour désigner le jardin a d'ailleurs donné le nom Paradis au fil des échanges et transcriptions. Plus encore que les jardins du Maghreb ou de l'Espagne Maure, le jardin persan obéit à des règles strictes, presque géométriques et sa structure en terrasses successives agrémentées de canaux et de grands bassins s'est répandue jusqu'en Inde, à la cour des seigneurs Moghols, convertis à l'Islam.

La différence vient surtout des essences, fleurs et fruits qu'on y trouve. Si les jardins du Maghreb offrent en général fleurs et essences méditerranéennes, le jardin persan se tourne résolument vers l'Asie. Au détour de ses allées, on trouve donc iris, jonquilles, arums, camélias, tulipes... Mais la rose et le lilas restent reines. Pour les fruits, ce sont les abricots, le coing, la cerise, la grenade, beaucoup de vigne également... Pins de Syrie, cèdres du Liban, aloès et cyprès viennent compléter l'ensemble, sans oublier les pistaches et la térébinthe... On trouve également des essences adaptées au froid, certaines régions de l'Iran étant montagneuses, en altitude et avec des nuits parfois très froides.

Enfin, le jardin persan est volontiers orné de kiosques et pavillons de repos délicatement ouvragés, couverts de céramiques ou mosaïques aux vives couleurs, témoins du raffinement extrême de l'art persan :

J'ai voulu ce matin te rapporter des roses ;
Mais j'en avais tant pris dans mes ceintures closes
Que les noeuds trop serrés n'ont pu les contenir.

Les noeuds ont éclaté. Les roses envolées
Dans le vent, à la mer s'en sont toutes allées.
Elles ont suivi l'eau pour ne plus revenir ;

La vague en a paru rouge et comme enflammée.
Ce soir, ma robe encore en est tout embaumée...
Respires-en sur moi l'odorant souvenir.

Marceline Desbordes-Valmore, "Les Roses de Saadi"

Ton sujet sur les jardins m'inspire ces quelques vers...

Superbe poème en effet dont j'avais parlé plus loin sur le forum. Les roses sont les véritables reines du jardin persan, les roses d'Ispahan sont célèbres et nombre de poésies, gravures et chansons leur sont consacrées. Il y a aussi les roses de Damas, très réputées.
"On est bien peu de choses, et mon amie la rose..."