LA JOUEUSE DE TYMPANON

C'est un petit bijou de précision, d'horlogerie et de finesse que je viens de placer dans notre chambre-forte.
La joueuse de tympanon est l'un des plus célèbres automates du XVIIIème siècle, créé par l'allemand Peter Kintzing et l'ébéniste favori de la reine Marie Antoinette, David Roentgen.

Présenté officiellement à la cour en 1784 où il joue devant les courtisans émerveillés, l'automate est acheté par la reine l'année suivante. Le délicat petit personnage, mû par d'inombrables pièces d'horlogerie, joue véritablement un air de musique. Il est commandé par un cylindre en laiton entrainé par un remontoir à ressort, le mécanisme étant situé dans le corps du personnage et dans la table. En tournant, le cylindre actionne des mécanismes contrôlant le mouvement des bras et de la tête.
La robe de la joueuse est une copie d'une des robes de la reine et ses cheveux sont issus d'une mèche des cheveux de Marie Antoinette. L'air joué est de Gluck, le compositeur préféré de Marie Antoinette, mais l'automate peut jouer jusqu'à huit morceaux différents. L'instrument est un tympanon, comportant 46 cordes que l'on fait vibrer en les heurtant avec deux petits maillets.
Plus de 100 artisans de 26 corps de métiers différents ont réalisé ce petit chef-d'oeuvre, sommet de la technique de l'époque. Ces automates existaient depuis longtemps déjà, jouets de grand luxe que l'on offrait aux jeunes filles de haute famille ou aux grandes dames. Mais celui-ci est le plus abouti.



Marie Antoinette l'offrira plus tard à l'Académie des Sciences de Paris, ce qui sauvera certainement l'oeuvre des pillages et désordres de la Révolution. Ce petit chef-d'oeuvre existe toujours, vous pouvez l'admirer au Musée des Arts et Métiers à Paris.
La preuve en musique :

Le XVIIIe siècle fut vraiment le siècle des sciences et techniques sous toutes ses formes. Etonnant d'ailleurs qu'une époque si éclairée intellectuellement ait pu sombrer dans les pires horreurs à sa fin.

Oui, c'est assez troublant. Cette époque poussa le raffinement, la finesse et la délicatesse à des sommets avant de sombrer (En France du moins) dans le chaos le plus total.

Puisqu'on parle de technique, rapellons que les automates étaient très en vogue à l'époque : Vaucanson s'en était fait une spécialité avec (déjà) un automate qui jouait aux échecs ! On offrait aux dames des cages où un oiseau miniature (souvent habillé de véritables plumes) bougeait la tête et les ailes et jouait un air de musique...
Un modèle de 1785 :

Notre joueuse de tympanon n'est pas unique en son genre. A la même époque, Pierre Jacquet Droz crée trois automates qui vont connaître eux-aussi une très grande célébrité :


Ces trois personnages sont une musicienne, un écrivain et un dessinateur. L'ensemble forme une véritable prouesse de technique, de minutie et d'horlogerie.
La musicienne est une joueuse d'orgue qui joue réellement cinq morceaux différents. La musique est bien jouée par l'automate qui enfonce les touches d'un véritable orgue avec ses doigts (l'orgue étant bien sûr construit à sa taille et son ergonomie). Elle «respire» (sa poitrine se soulève et s'abaisse), elle suit des yeux le jeu de ses mains, et elle fait des mouvements du torse, terminant même son récital par une révérence au public.


Le dessinateur est capable d'exécuter quatre dessins : un portrait de Louis XV, un couple royal, sans doute Louis XVI et Marie-Antoinette à qui les automates furent présentés à Versailles, un chien accompagnée de l'inscription «Mon toutou», et un Cupidon conduisant un char tiré par un papillon. Raffinement suprême : L'automate souffle de temps en temps sur son travail pour en enlever les éclats de mine de crayon...



L'écrivain est le plus complexe des trois automates. Il utilise un système semblable à celui du dessinateur pour tracer les caractères de l'alphabet, et peut écrire à l'aide d'un jeu de 40 caractères. Il utilise une plume d'oie qu'il trempe de temps en temps dans un encrier, en la secouant d'un coup sec pour éviter qu'un trop-plein d'encre ne laisse des "pâtés" sur le papier. Ses yeux suivent le texte au fur et à mesure qu'il l'écrit, et sa tête tourne lorsqu'il cherche de l'encre.


Vous voulez voir de près cet incroyable ensemble ? Il est conservé au Musée d'Art et d'Histoire de Neuchâtel en Suisse et une démonstration est faite le premier dimanche de chaque mois. Les japonais en sont fous, voyant en eux l'ancêtre des robots...

Voyageur Solitaire a écrit:

Vaucanson s'en était fait une spécialité avec (déjà) un automate qui jouait aux échecs !

L'automate joueur d'échecs est maintenant reconnu comme un canular.

J'imagine l'extraordinaire performance que c'était pour l'époque. Surtout que tout est mécanique !   

@ Sphigx : Sérieux ? Tout fout le camp décidément...

@ Albatur : Oui, l'horlogerie et la mécanique ont atteint des sommets en cette fin de XVIIIème siècle. La maison Bréguet créa une montre pour Marie Antoinette, qui restera la plus complexe de toutes pendant un siècle. Elle indiquait l'heure, le jour, le mois et était la première à se remonter automatiquement, du jamais vu jusque là. Au gré des hasards et convulsions de l'Histoire, elle se retrouva dans un musée où elle fût volée en 1983. Le plus fou est que la reine ne vît jamais cette montre : son élaboration, mobilisant plus de 20 personnes, dura... 44 ans ! Elle ne fût terminée qu'en 1827.
Suite à sa disparition, la maison Bréguet en réalisa une copie en 2008, copie qui nécessita trois ans de travail.

Le Turc mécanique :

http://www.robot.wikibis.com/turc_mecanique.php

Et oui, c'est bien un canular. D'ailleurs c'est le sujet de l'une des Histoires Extraordinaires de Poe, citée dans l'article mis en lien par Sphigx.

N'empêche que ça doit être plutôt flippant et anxiogène de voir ces automates de nuit, dans une pièce sombre peu éclairée.

On peut s'imaginer plein de choses avec, comme croire voir de véritable personnes, un peu comme dans un musée de cire dans le même contexte.

Je pense que l'effet produit était surtout frappant pour les gens de l'époque : les deux automates musiciens présentés ici jouent véritablement de la musique, les deux autres écrivent et dessinent. Pour l'époque, cela devait être proprement stupéfiant. On comprend l'émerveillement des courtisans devant la joueuse de tympanon présentée officiellement à Versailles...

Il est certain qu'à l'époque ce devait être quelque chose d'incroyable, impressionnant bon nombre de personnes.

Quelque chose de nouveau et de novateur.

Même aujourd'hui ça reste quelque chose de beau à voir, loin du tout numérique sans âme, fade et sans saveur.

Oui c'est magnifique et j'imagine même pas le boulot pour régler tout ça !