LE PLAFOND DE LA SIXTINE/ MICHEL ANGE

Une oeuvre de titan, phénoménale. Michel Ange n'aimait pas la peinture, l'art suprême était à ses yeux la sculpture. Il a pourtant avec cette oeuvre, gravé à jamais son nom dans l'histoire de l'art.

Une fresque immense de 40,5 mètres de long sur 14 de large, à 20 mètres au-dessus du sol pour une surface de 1000 mètres carrés. Le tout compliqué par la présence de voûtes et de fenêtres latérales. C'est le pape Jules II qui charge Michel Ange de réaliser cette mission impossible. A l'époque, personne n'y croit, tous sont persuadés que le génie va échouer dans sa tentative. Il réussira pourtant, au prix de dures épreuves.
Il faut d'abord mettre en place un fantastique échafaudage. Plutôt que de partir du bas, Michel Ange préfère suspendre son ensemble depuis le plafond et le haut des murs latéraux. Au fil de sa progression, il faudra démonter l'ensemble à trois reprises pour le remonter plus loin. L'artiste travaille dans des conditions infernales, perché là-haut, couché sur le dos, assis, debout, courbaturé, se cassant le dos... Il attrape un goître, la peinture lui coule sur le visage, dans les yeux, le plâtre le couvre de poussière, il a mal aux yeux en raison de la concentration et de la pénombre...


Pire encore : alors que son travail est bien avancé, des moisissures, des auréoles et des tâches apparaissent. C'est l'architecte personnel du pape qui lui fait comprendre que sa chaux contient trop d'eau et que de là vient le problème.
Le pape, impatient, vient souvent visiter le chantier ce qui énerve prodigieusement Michel Ange, obligé à chaque fois de cesser son travail.
Mais au bout de 4 ans, le pari est gagné, la fresque est achevée :


Elle représente la Génèse en thème central et se compose de 9 scènes le long du plafond, encadrées par des scènes plus petites sur les côtés représentant les 5 sybilles et les 7 prophètes. Les neufs scènes principales sont :

- La séparation de la lumière et des ténèbres
- La création du soleil, de la lune et de la terre
- La séparation des terres et des eaux
- La création d'Adam (la plus célèbre)
- La création d’Ève
- La tentation et l'expulsion
- Le sacrifice de Noé
- Le déluge
- L'ivresse de Noé





Les sybilles et prophètes sont Jonas (IONAS), Jérémie (HIEREMIAS), la sibylle persique (PERSICHA), Ézéchiel (EZECHIEL), la sibylle d'Érythrées (ERITHRAEA), Joël (IOEL), Zacharie, qui a annoncé la venue du Messie et la conversion de nombreux peuples, la sibylle delphique (DELPHICA),Isaïe (ESAIAS), la sibylle de Cumes(CVMAEA), Daniel (DANIEL) et, enfin, la sibylle lybique (LIBICA).


Il faut rajouter encore neuf scènes en médaillon :

- Elisée montant au ciel
- Le sacrifice d'Isaac
- La mort d'Absalon
- La mort de Nicanor
- David devant Nathan
- La destruction de Baal
- La mort d'Urie
- Bidqar jette le corps de Joram
- Le meurtre d'Abner

Encore plus fort : Michel Ange ne faisait pas mystère de sa passion pour les beaux garçons. Il se permet donc de compléter ce fantastique ensemble de 20 ignudi, vingt jeunes hommes nus et superbes, exposant fièrement leur nudité sensuelle au coeur de cet oeuvre sacrée :


Il va même encore plus loin dans l'allusion puisque, comme on peut le voir sur les images ci-dessus, ces beaux éphèbes païens sont souvent accompagnés d'une botte de... glands...

Ce côté coquin ne doit pas faire oublier le tour de force que fût la réalisation de cette oeuvre au niveau de la perspective : quand Michel Ange travaillait, suspendu sous le plafond, sa perspective, sa vision de ce qu'il peignait n'était pas la même que celle vue d'en bas, le plafond n'étant pas plat mais voûté. Certains pensent donc que le génie peignait volontairement selon une perspective fausse pour lui, mais correcte une fois vue d'en bas... Il se serait forcé à peindre "de travers" à son niveau pour que l'oeuvre soit vue correctement par les spectateurs en bas, en raison du changement de perspective.

Ce chef-d'oeuvre est visible au Vatican, chapelle Sixtine. Il fût complété par une autre fresque de Michel Ange, murale, Le jugement dernier. C'est dans cette chapelle que se déroule le Conclave, réunion des cardinaux pour élire le nouveau pape.

  

Pour ceux qui seraient tentés, de passage à Rome, par une visite de la Sixtine... Bon courage !
Passionné par Michel Ange (surtout ses statues), je ne pouvais manquer cette visite lors de mon passage au musée du Vatican. Et là, c'est une frustration immense.
Déjà, deux heures avant l'ouverture, c'est blindé, des centaines de gens qui attendent. Il faut réaliser que la Sixtine reçoit entre 10 000 et 20 000 visiteurs par jour ! Des heures à attendre, à piétiner, à avancer au pas... Et une fois arrivé, enfin, on a que quelques minutes ! Le personnel du musée presse les visiteurs de ne pas s'attarder pour que le flot des gens puisse s'écouler. Tu as à peine le temps de lever la tête et d'en prendre plein la gueule qu'on te demande de circuler. Frustration totale.
On peut se rabattre sur des visites en groupe, encadrées par un guide, mais il faut réserver à l'avance, à des horaires bien précises et c'est blindé, la liste d'attente est aussi longue que la fresque. Décourageant.

Incontournable et historique, un défi, une référence... mais en même temps, d'un point de vue personnel, je trouve ça très surchargé. Mais on peut la contempler pendant des heures tant il y a de détails... Alors, si c'est pour la voir en 2 minutes chrono, bof bof.

Oui, ça reste d'une certaine façon un très mauvais souvenir, vu sous cet angle. Après franchement, d'un point de vue purement esthétique, je suis pas fan des peintures de Michel Ange, contrairement à ses statues. Mais techniquement, artistiquement... Il a quand-même peint ça tout seul en quatre ans !

Voyageur Solitaire a écrit:

Pour ceux qui seraient tentés, de passage à Rome, par une visite de la Sixtine... Bon courage !
Passionné par Michel Ange (surtout ses statues), je ne pouvais manquer cette visite lors de ma visite au musée du Vatican. Et là, c'est une frustration immense.
Déjà, deux heures avant l'ouverture, c'est blindé, des centaines de gens qui attendent. Il faut réaliser que la Sixtine reçoit entre 10 000 et 20 000 visiteurs par jour ! Des heures à attendre, à piétiner, à avancer au pas... Et une fois arrivé, enfin, on a que quelques minutes ! Le personnel du musée presse les visiteurs de ne pas s'attarder pour que le flot des gens puisse s'écouler. Tu as à peine le temps de lever la tête et d'en prendre plein la gueule qu'on te demande de circuler. Frustration totale.

T'es plus patient que moi, VS, parce que moi je n'ai même pas voulu m'engager dans la file. Je partage l'avis de VIC : moi aussi, c'est le genre de choses où je dois rester au moins une heure pour apprécier tous les détails et m'imprégner de l'oeuvre. Faire le tour de la salle en 2 minutes et hop on ressort, très peu pour moi.

En fait, on a meilleur temps d'admirer les fresques en double-page sur un livre, on les voit mieux !  

Tu vas peut-être me trouver crétin d'être venu au Vatican sans être passé voir la chapelle Sixtine... tant pis. Mais bon, j'ai trop de respect pour le travail de Michel-Ange pour ne le voir qu'en 2 minutes.

Tant pis. Je sais où se trouve la chapelle. Je l'ai vue (de loin). Pour le reste, j'ai une excellente encyclopédie qui me fournit de très bonnes photographies que je peux admirer à loisir.

Pareil, j'ai un bouquin énorme sur Michel Ange avec ses oeuvres sous toutes les coutures. Mais quand j'aime un artiste, je deviens maso, il fallait que je la voie.
Le plus fou que j'ai fait, c'est trois heures d'attente sous la pluie devant la galerie des Offices à Florence pour voir La naissance de Vénus de Boticelli...

Un monument de l'art effectivement, et dire qu'il a fait ça tout seul, c'est du génie pur...

De mon coté je n'ai pas eu de problème pour admirer ces magnifiques représentations. De mémoire j'y suis allé en l'an 2000 à 9h du mat, donc il n'y avait pas forcement beaucoup de monde (tout est relatif bien sur).
Et je n'ai pas attendu vraiment longtemps. Mais à partir de 10h, là c'était vraiment la cohue, et une queue longue comme l'Amazone.

Par contre le musée du Vatican la c'était la grande foule, mais bon j'avais vu la Chapelle Sixtine avant.

Je comprend que c'est frustrant d'attendre des heures pour seulement deux minutes d'admiration, je n'aurai pas cette patience...

Oui, le musée du Vatican, c'est pas possible... J'y ai vu la statue d'Auguste de la Prima Porta, le Laocoon (j'étais venu pour lui) et les chambres de Raphaël, et après je suis sorti, j'en pouvais plus, la tête comme un tambour...

Etonnant que ce pape Jules II, protecteur des arts et de Michel Ange, concepteur de l'actuelle basilique Saint-Pierre.

Mais aussi un pape qui voulait faire de l'État pontifical une grande puissance, participant personnellement aux campagnes militaires. Un pape soldat belliqueux, un homme de fer intransigeant.

Oui, un pape assez atypique, guerrier et mécène, assez flamboyant et mégalomane (il avait commandé à Michel Ange un mausolée monumental qui devait être orné d'une quarantaine de statues. Quand on sait que Michel Ange mettait entre deux et trois ans pour en réaliser une... Ce fabuleux mausolée resta à l'état d'ébauche, seul le célèbre Moïse fût achevé).

Les relations entre les deux hommes étaient conflictuelles et affectives. Pendant les travaux de la Sixtine, Jules II, impatient, venait régulièrement visiter le site et demandait toujours :
- Michel Ange, quand auras-tu terminé ?
Et le génie répondait toujours :
- Quand j'aurai terminé...
Un jour, le souverain pontife s'énerva et frappa l'artiste de sa canne à plusieurs reprises en criant :
- Quand j'aurai terminé ! Quand j'aurai terminé !
Michel Ange laissa tout tomber et voulût partir. Le pape lui envoya alors un messager porteur d'une forte somme et d'une lettre d'excuse.

Jules II n'était pas bégueule : à l'inauguration de la Sixtine, son entourage se scandalisa de cette cohorte d'éphèbes nus sur les fresques en un tel lieu. Le pape eût un sourire et répondit :
- C'est un bien petit péché pour une oeuvre si immense...

Un mausolée inachevé, et un pape qui se retrouve inhumé sous une pauvre et discrète dalle dans la nécropole papale de la basilique Saint-Pierre.

Bien loin de la mégalomanie et de la grandiloquence de son vivant, comme quoi...

Warlock a écrit:

Un pape soldat belliqueux, un homme de fer intransigeant.

Comme tous les papes de cette époque, en fait. Ils n'étaient pas vraiment des ecclésiastiques mais plutôt des princes comme les autres. Le seul truc qui les différenciait des autres, c'est qu'ils avaient un statut particulier qui les rendait quasiment intouchables. Je dis bien "quasiment" parce que cela n'a pas empêché certains rois, en particulier des rois de France, de malmener bien des papes.

Rome continuait de cultiver son passé antique et les souverains pontifes se voulaient être de nouveaux empereurs, le christianisme en plus. Mais ils avaient aussi les mêmes travers et les mêmes tares que les empereurs romains. Ils aimaient le pouvoir et l'or et étaient prêt à tout pour s'en procurer.

Ce qui n'empêche pas qu'ils étaient aussi, pour certains d'entre eux, de remarquables mécènes et amateurs d'art et que leur contribution à la culture occidentale est loin d'être négligeable.

Même cette satanée crapule d'Alexandre VI Borgia, au fond, était un grand prince de la Renaissance à défaut d'avoir été un pape exemplaire...

Gorak a écrit:

Comme tous les papes de cette époque, en fait.

Tous non, deux des trois papes successeurs de Jules II étaient bien moins irascibles et belliqueux que lui.

Léon X était un grand mécène, protecteur de Raphaël, et un pape conciliant niveau politique et plutôt diplomate.

Quand à Clément VII qui fut également un grand mécène, il protégea les juifs et condamna les conversions forcées des Indiens du nouveau monde.

Il n'y a pas de vérité, peu importe l'époque, à la tête du Saint siège on a toujours eu des personnalités différentes, variées et diverses.

Warlock a écrit:

Léon X était un grand mécène, protecteur de Raphaël, et un pape conciliant niveau politique et plutôt diplomate.
Quand à Clément VII qui fut également un grand mécène, il protégea les juifs et condamna les conversions forcées des Indiens du nouveau monde.

Oui, c'est vrai. Léon X et Clément VII furent de très grands papes. Ils ont relevé l'institution.

Je n'avait vraiment pas en tête tous les défis techniques que Michel ange a surmonté, c'est vraiment impressionnant. On fait bien aussi de remarquer le role des mécènes qui malgré le fait qu'ils aient dépensé l'argent du contribuable ils ont permis la creation d'un tel patrimoine.

En dehors des contraintes et difficultés techniques, la réalisation de la fresque de la Sixtine fût vécue presque comme une punition par Michel Ange : ce dernier n'aimait guère la peinture qu'il considérait comme inférieure à la sculpture (il se disait sculpteur avant tout) et les quatre ans passés à la Sixtine étaient pour lui autant de temps perdu pour la sculpture. Surtout quand on sait le temps que lui prenaient ses oeuvres sculptées, (deux ans pour La pieta et trois pour le David)...
A sa décharge, signalons que Michel Ange vécût très âgé pour l'époque (88 ans).

Enfin, la peinture "à fresque" est difficile : il faut d'abord réaliser un enduit spécifique (mélange de chaux, de sable et d'eau) et terminer l'oeuvre avant que l'enduit ne soit sec... Ainsi, les pigments pénètrent en profondeur et les couleurs restent plus vives et durent plus longtemps. Il faut donc peindre très vite, entre l'application de l'enduit et son séchage.

Michel Ange n'aimait pas la peinture, peindre le plafond de la Sixtine a été pour lui, comme nous l'avons vu, un enfer. Mais on est génie ou on ne l'est pas...
Le maître va donc récidiver et compléter ses fresques par la peinture monumentale du Jugement dernier, immense peinture murale qui vient "fermer" l'une des extrémités de la chapelle :


Un ensemble monumental, réalisé de 1536 à 1541 (Michel Ange avait alors 60 ans). 13 mètres de haut sur 12 de large, surplombant l'autel. Structure pyramidale : on part du bas avec l'Enfer, les damnés emportés par les démons et plus on s'élève, plus on monte vers le cortège des saints et bienheureux qui entourent le Christ et la Vierge au centre et au sommet de l'oeuvre.
Aux côtés de Jésus et de sa mère figurent les saints tenant les instruments de leur martyre, entre autres saint Barthélemy tenant sa peau écorchée (Sur laquelle Michel-Ange s'est représenté), saint Laurent avec le gril sur lequel il fût brûlé vif, saint Pierre tenant les clefs du Paradis, Adam et Ève, Ésaü et Jacob réconciliés, et d'autres martyrs. À gauche, des apôtres et Jean-Baptiste.
En bas, on voit : à gauche les morts tout juste ressuscités, que des anges emmènent vers le Christ pour être jugés, à droite, les damnés repoussés par les anges et tirés vers l’enfer par des démons.

Au passage, ce coquin de Michel Ange se permet même de nous offrir une scène de Fist fucking en plein coeur de la Chapelle Sixtine avec en bas à droite, Le châtiment de la sodomie :


Scène à double sens, le maître étant homosexuel, ce qui le mettait en contradiction avec sa foi très vive. Même chose plus haut où il représente son visage sur la peau écorchée de saint-Bartélémy, symbole de sa déchirure entre sa foi et ses passions. Mais Michel Ange osait tout : le maître des cérémonies du Pape ayant dénigré l'oeuvre en présence du souverain pontife lors d'une de ses visites, le maître, rancunier, l'ajouta au tableau en bas parmi les démons et damnés, sous les traits d'un homme affublé d'oreilles d'âne...

Au final, 400 personnages en un grouillement qui n'est qu'apparent : ce tourbillon d'anges, de saints, de damnés est en fait nettement structuré et ordonné. 400 personnages qui, à l'origine, étaient entièrement nus, y compris le Christ... Devant le scandale, on fît appel au peintre Daniele da Volterra qui sur ordre de Paul VI drapera cette cohorte de voiles et draperies, les romains s'empressant de le moquer en le surnommant "il braghettone"...

L'oeuvre subît une restauration complète de 1981 à 1992, afin de lui rendre tout son éclat.