LA MYSTERIEUSE FEMME A LA MOUCHE

En apparence, c'est un portait de femme, comme il y en a tant.
Son auteur est inconnu. La toile daterait de 1470 et elle a pour nom Portrait d'une femme de la famille Hoter. Elle est visible à la National Gallery de Londres.

Ce qui intrigue les spécialistes et amateurs de peinture, c'est la présence de cette mouche, sur la coiffe de la dame :


Pourquoi l'artiste a-t-il représenté cet insecte ? Par souci de réalisme ?
La raison pourrait être bien plus complexe.

La mouche, en peinture, symbolise souvent la mort. Peut-être en rapport avec les mouches qui tournoient autour d'un corps selon certains. La mouche peut également symboliser une pensée négative, un problème, une angoisse, surtout si elle est représentée au niveau de la tête. Ici donc, la présence de cette mouche pourrait indiquer que la dame représentée était morte au moment où le portrait fût terminé.
D'autres détails nous mettent sur cette voie. La fleur que tient la dame est un myosotis :



Or, dans le langage des fleurs, le myosotis évoque la mémoire. Les anglais l'appellent d'ailleurs la "Forget me not flower", la "fleur ne m'oubliez pas". On l'associe souvent avec des formules comme "Souvenez-vous de moi" ou  encore "aimez-moi toujours". Elle symbolise le souvenir, la mémoire et elle est d'ailleurs associée à la maladie d'Alzheimer. On notera également un détail : les ongles sales, noircis, de la dame, comme si elle avait remué de la terre. On pourrait penser avec cette fleur et cette terre aux ongles qu'on a là simplement la représentation d'une dame qui jardine. Mais si l'on rajoute la tenue, noire, et la coiffe, qui fait penser à celle des nonnes de l'époque, on s'oriente vers toute autre chose.

Aujourd'hui encore, la dame de la famille Hoter garde son mystère.
Mais pour beaucoup de spécialistes, il n'y a guère de doutes : cette jeune femme était morte, peut-être pendant la réalisation du portrait ou ce dernier était un hommage à la disparue. Pour d'autres, le tableau représente une veuve. Ou alors, l'oeuvre portait un message philosophique, indiquant que la beauté et la jeunesse du modèle finiraient par passer et disparaître un jour. Le débat reste ouvert.

D'après ce que j'en ai lu ici et là, une bague à l'auriculaire symboliserait parfois la nostalgie du passé. C'est le doigt de la pensée, de l'émotion. Dans l'Antiquité, les Grecs portaient un anneau à ce doigt pour signifier qu'ils traversaient une période difficile, qu'ils faisaient face à un conflit intérieur. Après, les interprétations varient beaucoup, il faut rester prudent.

Notons au passage le réalisme et la minutie de la mouche, sur une toile relativement petite, environ 50 X 40 cm. Même l'ombre de l'insecte et de ses pattes est reproduite...

La mouche, c'est aussi le symbole de Belzébuth. (seigneur des mouches)

Le tableau pourrait donc aussi représenter une sorte de sorcière ou une envoûteuse. La beauté du Diable, en quelque sorte...

C'est quand-même souvent pertinent : autrefois, la peinture avait de nombreux codes et symbolismes cachés qui permettaient de faire passer un message par une oeuvre en apparence banale. Une pluie de pétales de roses symbolisait la volupté, la pêche, l'abricot ou la figue le sexe féminin, la grenade la fécondité... Tel objet était placé là pour une raison précise, le modèle était habillé ainsi pour telle raison... La fleur que tenait la jeune femme symbolisait tel sentiment...

Un tableau d'apparence banale pouvait ainsi faire passer aux "initiés" de nombreux messages.

Oui et non je dirais.

Pendant longtemps, la peinture a quand-même été réservée à une élite, ceux qui pouvaient se la payer (soit  payer l'artiste, soit s'acheter le tableau). Et c'étaient en général des gens cultivés, instruits, qui connaissaient les "codes" éventuels ou les symboles.

Sauf erreur de ma part, je crois que les Salons, ouverts au public, où les artistes exposaient, sont venus assez tard, au XVIIIème siècle. Avant, les artistes peignaient pour ceux qui en avaient les moyens, pas spécialement pour le plus grand nombre (après, au niveau personnel, intime, je suis d'accord, un artiste crée pour lui d'abord, quel que soit l'art concerné).
Et pour certains, c'était un moyen de contourner la censure ou d'exprimer une facette de leur personnalité. Certains peintres homosexuels se servaient de la mythologie pour représenter des hommes nus par exemple. A partir du moment où c'était un personnage ou un sujet mythologique, ça ne choquait pas. Pareil de l'autre côté : choquant de représenter une dame ou un modèle nu mais à partir du moment où c'était Vénus ou une nymphe, ça passait.
Vous avez dit hypocrisie ?

Hum, si ça se trouve, la dame a demandé à être peinte avec une mouche, ce fameux grain de beauté artificiel.