Messages : 238 Date d'inscription : 16/10/2015 Localisation : Chatillon Emploi/loisirs : Retraité. Photo, musique Humeur : bonne
Sujet: JON LORD Mar 29 Mar - 13:52
Dans ma jeunesse j’écoutais du rock, parfois du hard rock, et donc Deep Purple. Ce n’était pas mon groupe favori mais In rock était tout de même un disque qui repassait souvent sur mon électrophone (quand j’ai eu les moyens d’acheter une chaîne HI-FI, je l’écoutais déjà beaucoup moins). J’avais entendu parler de leur Concerto for Group and Orchestra mais je ne l’ai écouté que beaucoup plus tard, par curiosité, et je n’ai pas vraiment ressenti le besoin de l’écouter une deuxième fois, tant cela m’avait paru assez décousu et pas très convaincant. Beaucoup moins en tout cas que d’autres tentatives de fusion rock/classique de la même époque ou à peu près. Ayant presque totalement décroché du rock depuis des années pour n’écouter plus que de la musique classique, j’étais à mille lieux d’imaginer avant la semaine dernière que j’allais faire une découverte concernant de près Deep Purple en la personne de Jon Lord. Cherchant sur internet des concertos de Lars-Erik Larsson, un compositeur suédois auquel je m’intéressais depuis quelques jours, j’ai remarqué du coin de l’oeil dans la liste de suggestions de Youtube un certain "Durham Concerto” d’un certain Jon Lord. Je savais que Jon Lord était l’organiste de Deep Purple, mais pouvait-il s’agir du même ? Par curiosité j’ai écouté les premières mesures et c’était apparemment du classique. Et c’était même pas mal, avec une belle ambiance qui me plaisait bien. J’ai écouté la totalité, tout en cherchant sur Wikipedia des infos à propos de ce Jon Lord et de son Durham Concerto, et j’ai vu que c’était bien le Jon Lord de Deep Purple. J’aime assez de faire encore ce genre de découvertes à soixante balais passés. Même si j’ai appris par la même occasion, et du coup avec un peu de tristesse, que Jon Lord était mort en 2012. En écoutant le Durham Concerto j’ai noté que la maîtrise de la composition et de l’orchestration de Jon Lord avait bien évolué depuis le Concerto for Group and Orchestra de 1969. Je pense que si j’avais écouté cette pièce, qui date de 2007, sans connaître le nom du compositeur, j’aurais dit qu’il s’agissait d’un compositeur de musique classique de la deuxième moitié du XXe siècle, au style plutôt traditionnel mais avec tout de même des accents modernes et des audaces sur le plan instrumental que peu de compositeurs classiques se permettraient, comme l’utilisation d’une cornemuse et d’un orgue Hammond (ce dernier de manière très discrète).
Le Durham Concerto est une commande de l’Université de Durham pour la célébration de son 175ème anniversaire. Il fut joué en la cathédrale de Durham le 20 octobre 2007. A la différence d’un concerto classique dédié à un instrument unique, celui-ci offre des parties solistes à divers instruments : le violoncelle, le violon, la cornemuse du Northumberland et l’orgue Hammond. A la première de l’œuvre, Jon Lord lui-même était à l’orgue et c’est aussi lui qui en joue sur le disque. Le compositeur n’était à l’origine pas très désireux que des instruments modernes comme l’orgue Hamond ou la guitare électrique interviennent dans l’œuvre et voulait écrire dans un idiome purement orchestral. Cependant, il dut finalement accepter d’écrire quelques passages qu’il pourrait jouer lui-même sur son fidèle orgue Hammond. L’orchestre est le Royal Liverpool Philharmonic Orchestra dirigé par Mischa Damev, et les solistes sont : Matthew Barley, violoncelle ; Ruth Palmer, violon ; Kathryn Tickell, cornemuse ; Jon Lord, orgue Hamond.
La structure du concerto consiste en une suite de six pièces orchestrales contrastées visant à dépeindre une journée à Durham, ville du nord-est de l’Angleterre connue pour sa cathédrale, son château et son université. Il s’ouvre sur un mouvement lent intitulé The Cathedral at Dawn. L’orchestre évoque une ambiance matinale où les premières lueurs du soleil viennent caresser la pierre millénaire du monument. Le violon intervient en soliste dans une lente mélopée, bientôt rejoint par le violoncelle qui prend le relais de la mélodie sur les accords discrets de l’orgue Hammond. Les deux instruments à cordes peignent ensemble un tableau impressionniste qui n’est pas sans évoquer La cathédrale de Rouen peinte par Monet sous diverses lumières. Peu à peu l’orchestre se fait plus présent, comme la lumière du soleil qui finit par éclabousser tout le tableau.
Le deuxième mouvement, Durham Awakes, fait intervenir presque tout de suite la cornemuse du Northumberland dont les accents celtisants amènent une sorte de marche claudiquante jouée par les cordes et rythmée par des tambours et des tambourins. Le mouvement se poursuit avec tout les instruments de l’orchestre interprétant une danse rythmée qui évoque les rues animées de la ville.
Le troisième mouvement, The Road from Lindisfarne, évoque le début de l’après-midi. L’ambiance est toujours celtisante, avec l’intervention de la cornemuse. On se demande par moments si l’on n’est pas dans un disque d’Alan Stivell, mais en mieux. C’est un mouvement lent à nouveau, à l’atmosphère rêveuse, un peu mélancolique, qui se fond lentement dans les brumes.
Le quatrième mouvement, From Prebends Bridge, évoque la vue que l’on peut avoir depuis ce pont de Durham qui enjambe la Wear. La lenteur extrême du tempo fait penser à une barque dérivant sur les eaux calmes de la rivière. On imagine des pêcheurs sur les berges, des gens y faisant la sieste à l’ombre. Le temps s’écoule sans heurts, la vie est une rivière tranquille.
Avec le cinquième mouvement, Rags and Galas, on entre dans le soir. Tout est soudain beaucoup plus animé, c’est fête et amusements, ça chante et ça danse, ça boit et ça rigole. La musique est sautillante, joyeuse, sans vulgarité. Lord montre ici une belle science de l’orchestration avec un morceau éclatant de joie de vivre où tout l’orchestre s’en donne à coeur-joie sans jamais devenir pénible ni tonitruant.
Le sixième mouvement, Durham Nocturne, nous invite à la nuit. Le silence est revenu, une cornemuse fait entendre sa complainte. Le son de la cornemuse du Northumberland est beaucoup plus doux que celui de la cornemuse écossaise. En tout cas telle qu’elle est jouée ici par Kathryn Tickell. La mélodie est très belle, reprise par le violoncelle et le violon. Tout le mouvement baigne dans la sonorité veloutée des cordes, jusqu’au finale majestueux où tout l’orchestre glorifie la splendeur d’un crépuscule de feu.
VIC
Messages : 4283 Date d'inscription : 18/01/2012
Sujet: Re: JON LORD Mar 29 Mar - 22:34
Je vais écouter cela prochainement, merci pour cette découverte. Cela ne m'étonne pas tant que ça de Jon Lord, car le niveau des musiciens de Deep Purple est vraiment élevé et ils ne se sont pas endormi sur leurs lauriers, cherchant à se renouveler plutôt que d'appliquer les mêmes recettes.
Henri
Messages : 238 Date d'inscription : 16/10/2015 Localisation : Chatillon Emploi/loisirs : Retraité. Photo, musique Humeur : bonne
Sujet: Re: JON LORD Jeu 31 Mar - 20:24
Le Durham Concerto n’est pas la seule composition dans le genre classique de Jon Lord. En 2006 il a enregistré l’album Boom of the Tingling Strings, qui contient deux compositions : un concerto pour piano qui donne son titre à l’album, et Disguises, une suite en trois mouvements, chacun faisant le portrait d’une personne ayant inspiré le compositeur. Une première version du Concerto fut achevée en novembre 2002, peu après que Lord eut quitté Deep Purple. La première exécution eu lieu à Brisbane, Australie, en février 2003, avec Michael Kieran Harvey au piano et l’orchestre du Queensland dirigé par Paul Mann.
Parlant de Boom of the Tingling Strings, Jon Lord dit :
« J’ai commencé cette pièce après avoir lu le magnifique poème de Lawrence [“Piano”, 1918 par D. H. Lawrence] en 1998. La description d’un petit garçon assis sous un piano dans “le grondement des cordes vibrantes” — une phrase extraordinaire — a eu une énorme résonance avec mes propres souvenirs d’enfance, et dans le premier mouvement j’ai voulu décrire la même aspiration nostalgique pour un passé évanoui, et peut-être enjolivé. La suite peut être vue comme une description de mon retour vers le présent à partir de cet instant, avec quelques coups d’œil affectueux en arrière, vers un monde au-delà du “flot de souvenirs” de Lawrence et des larmes qu’il verse sur son passé. Bien qu’enclin à cela moi-même, j’ai voulu finir la pièce sur un monde plus joyeux où l’on peut apprendre du passé plutôt que le regretter. »
Paul Mann, le chef d’orchestre qui a dirigé la première exécution à Brisbane ainsi que l’enregistrement, écrit :
« Boom of the Tingling Strings demeure une œuvre très spéciale pour moi. [...] Les trois années de sa gestation couvrent également la période durant laquelle Jon et moi sommes devenus des amis très proches. Pour cette raison, et particulièrement maintenant à une distance de plus de dix ans, je l’entends comme une sorte de journal intime. Sa technique pour écrire des pièces de grande envergure était d’assembler des matériaux qui trouvaient graduellement leur place dans l’œuvre définitive. Un jour, une promenade dans les Chilterns lui fournit une inspiration inattendue. Pendant l’aller il a ouvert une grille en fer qui lui a grincé trois notes. Au retour, il a poussé la grille dans la direction opposée et celle-ci a produit trois autres notes. Arrivé à la maison, il combina les deux motifs pour en faire la mélodie d’ouverture du mouvement lent de Boom. Le cœur mélancolique et nostalgique de cette œuvre entièrement tonale pourrait donc fournir une nouvelle définition de ce qui est dérisoirement connu dans le commerce comme la “musique de porte grinçante”. »
Les quatre mouvements de Boom of the Tingling Strings sont joués sans pause entre eux. L’ouverture est théâtrale, avec un long grondement de timbales sur lequel résonnent quelques notes de vibraphone. Toute l’introduction est dans une ambiance sombre et recueillie où divers protagonistes de l’orchestre interviennent tour à tour isolément jusqu’à l’arrivée du piano au bout de six minutes, dédramatisant l’atmosphère avec de cristallines volutes arpégées qui amènent un deuxième mouvement clairement enjoué et jazzy. La partition est manifestement destinée aux virtuoses. Lord a fait savoir qu’il n’avait pas écrit cela pour le jouer lui-même et qu’il a voulu écrire quelque chose de vraiment virtuose. Bien qu’il ne soit certainement pas un pianiste inaccompli, il voulait ne pas être entravé par ses propres capacités. En même temps, on n’est jamais assommé par des prouesses pianistiques uniquement destinées à mettre l’interprète en vedette ; la musicalité est reine de la première jusqu’à la dernière mesure. Le troisième mouvement, adagio, est empreint d’une atmosphère quasi-pastorale. On se prend à s’étonner que des lignes si pleines de douceur aient pu être écrites par quelqu’un dont l’essentiel de la vie musicale aura été de jouer du hard rock. Le quatrième mouvement, allegro giusto, vient d’ailleurs nous rappeler, s’il en était besoin, que Lord sait aussi écrire des morceaux qui déménagent bien, avec ici une partie de piano à cent à l’heure qu’on imaginerait aisément jouée à l’orgue Hammond avec force effets électro-acoustiques comme il était de règle dans les concerts de Deep Purple.
Les trois mouvements de Disguises sont écrits pour orchestre à cordes. Le premier, M.A.s.q.u.e., est un portrait de sir Malcolm Arnold, le compositeur anglais qui a fortement influencé la vie musicale de Jon Lord. C’est lui qui avait dirigé le Royal Philharmonic Orchestra pour le fameux Concerto for Group and orchestra de 1969 avec Deep Purple, de même que pour la Gemini Suite enregistrée l’année suivante avec d’autres musiciens de la scène du rock. Le deuxième mouvement, Music for Miriam, un adagio pour violon et orchestre à cordes, est une longue élégie à la mémoire de la mère du compositeur. Dans une note de programme, Jon Lord indique que sa mère, « lorsqu’elle mourut [lui] laissa, parmi de merveilleux souvenirs, le petit thème de six notes qui revient tout au long de Music for Miriam. » Le mouvement final, Il Buffone (G.C.) est dédié à un vieil ami, un homme plein de vie qui apporta à Lord « sa folie bienveillante et sa jovialité quand [il] en avai[t] le plus besoin, mais dont la bonne humeur pouvait cacher une certaine mélancolie ». Lorsque Disguises fut achevé en 2006, Jon Lord décida de dédicacer la pièce à Sir Malcolm Arnold. Le grand compositeur lui fit savoir qu’il était enchanté d’en être le dédicataire et était impatient d’entendre l’œuvre. Malheureusement, il décéda quelques jours plus tard sans avoir pu l’écouter.
Paul Mann donne ces informations :
« Disguises fut conçu à l’origine comme une pièce pour quatuor à cordes, mais au fur et à mesure que l’œuvre prenait forme il devint rapidement évident au compositeur que son matériau demandait des moyens plus amples. La première fut donnée par le Trondheim Soloists au Festival de Musique de Berne le 23 mai 2004. En décembre 2006, je dirigeai l’Orchestre Symphonique d’Odense pour le premier enregistrement de l’œuvre, qui sortit en 2008 sur le même CD que Boom of the Tingling Strings. L’œuvre est l’une des plus riches et intéressantes de Jon. Le premier mouvement décrit de manière très perspicace la personnalité complexe et vulnérable de Sir Malcolm Arnold. Je l’ai dirigée par la suite à diverses occasions en présence de Jon (notamment en 2007 au Festival Malcolm Arnold avec le Royal Philharmonic Orchestra) et il cherchait toujours des façons d’augmenter la justesse de son expression. En avril 2012, je la dirigeai dans une série de concerts avec l’orchestre de Grenade. Jon était trop malade pour faire le voyage, mais cela ne l’a pas empêché de m’indiquer des corrections et des ajustements par téléphone. Parmi les plus remarquables il y a notamment quelques glissandi à vous retourner l’estomac dans les cordes graves vers la fin de M.A.sque. Music for Miriam est apparu en 1997 dans l’album Pictured Within, et Jon l’a continuellement revisité et révisé, à la fois pour Beyond The Notes (2004) et pour être la pièce centrale de Disguises. Il s’agit d’un émouvant mémorial à sa mère, qui est représentée dans la musique par le violon solo. On entend aussi un violoncelle solo représentant son père. On sait que Jon encodait sa musique de touches personnelles, et Music for Miriam contient l’une des plus touchantes de celles-ci. Peu après le début, après le premier solo de violon, les cordes en sourdine (marquées adagio religioso) citent la phrase d’ouverture de la première pièce de musique que Jon ait jamais composée, alors qu’il était encore adolescent. C’était, de manière quelque peu ambitieuse, un arrangement du Nunc Dimittis, et après avoir entendu la musique de son jeune fils, le violon solo sourit avec fierté en s’offrant toute une mesure de joyeux triplets. Le dernier mouvement de Disguises est peut-être le plus énigmatique. Jon a permis à son sujet de conserver l’anonymat et je ne peux donc pas trahir sa confiance ici. Il suffit de dire que la combinaison d’une exubérance légèrement dangereuse et d’une profonde mélancolie donne au mouvement son atmosphère puissamment évocatrice, et qu’elle est peut-être aussi la vraie source du titre général de la suite. C’est aussi un tour-de-force pour les exécutants à qui l’on demande la plus grande virtuosité dont soit capable un orchestre à cordes. »
Boom of the Stringling Strings, I. Adagio Assai
Boom of the Stringling Strings, II. L'istesso Tempo
Boom of the Stringling Strings, III. Adagio
Boom of the Stringling Strings, IV. Allegro Giusto
Disguises, I. M.A.s.q.u.e. Poco adagio - Allegro moderato e poco pesante