La forêt pétrifiée
Il y a 225 millions d'années, cette région du nord-est de l'Arizona se trouvait au niveau de l'équateur et il y poussait des arbres aussi massifs que les séquoias géants. Au gré des bouleversements sismiques et volcaniques, ces forêts ont disparu, mais une petite proportion des arbres a survécu, enfouie sous une couche de cendre ou de boue. L'eau s'est lentement infiltrée dans leurs milliards d'interstices, évacuant peu à peu toute matière organique.
C'est le même processus de fossilisation que pour les ossements. Mais on n'est guère habitué de le voir appliqué à des arbres. Et pourtant, après des millions d'années, tout comme l'os de dinosaure est devenu semblable à de la pierre, l'arbre est devenu, littéralement, une roche.
Sur l'échelle de dureté utilisée par les géologues, seuls quelques cailloux, dont la topaze et le diamant, sont plus durs.
Dans cette région de l'Arizona, non loin de la frontière du Nouveau-Mexique, on trouve des millions de ces vestiges, allant du caillou qui tient dans le creux de la main jusqu'à des troncs pratiquement complets. La région a été décrétée Monument national en 1906. Aujourd'hui, le Parc national de la forêt pétrifiée fait une quarantaine de kilomètres du nord au sud. Il s'agirait de la plus grande concentration d'arbres pétrifiés au monde.
Bien que situé à plus de trois heures de route des métropoles les plus proches - Phoenix (Arizona) et Albuquerque (Nouveau-Mexique) - le parc accueille tout de même 600 000 visiteurs par an. Et il ne faut pas croire qu'il y fait toujours chaud : entre novembre et mars, les températures, tôt le matin, approchent souvent le point de congélation. Il faut dire qu'on se trouve sur un plateau, à quelque 1600 mètres d'altitude.
Il s'y fait aussi des recherches archéologiques : les ancêtres des Pueblos ont occupé cette région il y a 800 à 1000 ans et y ont laissé des habitations de pierre dont on peut observer les restes, de même que des pétroglyphes, ces dessins sur la pierre dont la signification reste obscure.
Déracinés par des ouragans et des inondations effroyables, une partie de ces arbres s'enlisèrent profondément dans la boue, le sable et les cendres volcaniques siliceuses charriés par les rivières en crue. Sous terre, la rareté de l'oxygène stoppa le processus naturel de pourriture et de décomposition et ce assez longtemps pour que la silice et d'autres minéraux en suspension dans l'eau s'incrustent peu à peu dans les cellules ligneuses et changent les troncs et les branches épars en blocs de pierre.
Des traces de fer, de manganèse et de carbone parèrent ensuite la silice de toutes les couleurs de l'arc-en-ciel. Par la suite, plusieurs plissements géologiques soulevèrent les terrains marécageux et le vent, la neige, la pluie, après avoir érodé les couches sédimentaires protectrices, mirent à nu les restes pétrifiés que les visiteurs peuvent admirer aujourd'hui. De nombreux autres fragments sont vraisemblablement disséminés à une centaine de mètres de profondeur.
Ce phénomène de la Nature fut découvert par l'homme blanc en 1851, mais resta inconnu jusqu'à l'arrivée du chemin de fer et des pionniers, vers la fin du XIXe siècle. Ce fut alors le pillage. Chasseurs de souvenirs, collectionneurs et fabricants de bijoux attaquèrent les précieux matériaux à la dynamite afin de mettre la main sur les améthystes, cristaux de quartz incrustés dans les fentes et les anfractuosités des vestiges.
En vingt ou trente ans, ils auraient à coup sûr détruit le trésor constitué en plusieurs millions d'années si les législateurs du territoire (l'Arizona n'était pas encore un Etat) n'avaient envoyé une pétition au président Théodore Roosevelt lui demandant, pour sauver cette forêt fossile, de la déclarer réserve nationale.
Le parc possède une faune et une flore intéressantes : antilocarpes, antilopes, lynx, lapins, chiens de prairie, coyotes, serpents, oiseaux, ainsi qu'une infinie variété de plantes dont certaines donnent des fleurs. La vie remonte ici à des temps très anciens : on dégage parfois de la roche tendre les ossements d'amphibiens géants ou d'énormes reptiles ; ailleurs, des ruines indiennes et des objets de pierre (dont les pétroglyphes) montrent que l'homme préhistorique a, lui aussi, vécu dans ces parages.