LE JAZZ, LA SOUL, LE GOSPEL ET LE BLUES DU VIEUX SUD

Les 70's sont clairement sa période la plus prolifique, là où pour moi il donne toute sa mesure. Ses années 80's peuvent paraître plus commerciales quelque part, mais c'était aussi l'époque qui voulait ça, avec le triomphe de MTV et des clips... Surdoué ? Oui, je pense. Quand tu maitrises piano, harmonica et percussions à huit ans, que tu signes un contrat à onze ans, on peut dire que t'es surdoué. Ce type est un touche à tout, curieux de tout. Le morceau d'harmonica sur There must be an angel des Eurythmics, c'est lui aussi.

Et puis, j'aime bien son enjouement, ce qu'il dégage : quand tu regardes ses vidéos de concert, le type est toujours chaleureux, souriant, il parle avec les gens. Il y a quelque chose de positif chez lui, une réelle empathie. Une grande force aussi je pense, pour avoir surmonté son handicap, une enfance pauvre...

Un grand artiste et un grand humaniste, reconnu dans le domaine musical comme un génie oui en plus d'un homme au grand coeur. Je n'aime pas tout de lui, mais bien évidemment je ne peux passer à côté de ses 80's. Certes c'est sa période la plus commerciale et accessible, mais avec une approche mélodique d'une grande efficacité.

Et si je devais retenir un morceau de lui, ce serait ce fameux duo, cette chanson hymne à la tolérance.

Sûrement sa chanson que j'aime le moins...

Je ne doute pas un instant de la sincérité et de l'humanisme de ces deux là mais ce genre de duo et de sujet fait pour moi commercial à mort.
Stevie Wonder, pour moi, ce sont les 70's, incroyables de créativité, d'audace, d'énergie. Ses 80's sont redoutables d'efficacité mais l'esprit de la décennie précédente n'y est plus je trouve. Comme pour Bowie ou Elton John d'ailleurs.

Pour Bowie et Wonder je dirais que c'est surtout à partir des 90's que l'esprit n'est plus vraiment la. Une décennie qui a été particulièrement dure pour pas mal d'artistes célèbres. Qui passant les 80's dans le haut du panier ont eu du mal avec la transition 90's ou le public voulait autre chose, attendait autre chose (à mes yeux pas vraiment dans le bon sens du terme, mais bon c'est un autre débat...).

Un physique, une "gueule", pour celle qui est considérée comme l'une des plus grandes chanteuses de jazz avec Ella Fitzgerald, Sarah Vaughan et Billie Holiday. Pianiste, chanteuse, compositeur, Nina Simone, née Eunice Kathleen Waymon en 1933 aux USA, n'était pas de celle qui se pliait aux concessions. Radicale, puissante, entière, on ne s'étonnera pas qu'elle fût grandement impliquée dans la lutte pour les Droits Civiques.

Tout commence avec cette sixième enfant d'une famille très pauvre du Vieux Sud. Une enfant surdouée qui joue déjà du piano à trois ans, chante à l'église du coin et qui donne son premier récital classique à douze ans. Et qui déjà s'affirme : lors de ce récital, ses parents, assis au premier rang, doivent céder leur place à des spectateurs blancs. La petite Nina refusera de jouer tant que ses parents n'auront pas repris leur place. Elle rêve de musique classique, de conservatoire, mais la pauvreté de la famille et sa couleur de peau lui en fermeront les portes. Elle grimpera les échelons en jouant dans les clubs, travaillant d'arrache pied.

Devenue Nina Simone, elle impose son physique, sa présence, sa voix puissante. Très souvent, sur scène, elle improvise, se lâche complètement, dialogue avec le public, engueule parfois ses musiciens ou même les spectateurs... Elle succombe à ses démons dont l'alcool, montant souvent sur scène en étant ivre, ce qui ne l'empêche pas de jouer et chanter comme personne. Bien que passionnée de musique classique (elle joue du Bach au piano avec une seule main), elle devient la voix du jazz, auquel elle infuse sa force, sa violence, des tams-tams et des rythmes africains débridés, comme sur sa reprise fabuleuse, au rythme de dingue, de My way.
Sa vie privée est marquée par l'alcool, la violence (son compagnon et manager la frappe). Suite à son divorce, elle réalise que son ex-compagnon, qui gérait ses revenus, a fraudé le fisc américain qui la recherche pour d'énormes arriérés d'impôts. Elle doit quitter les USA. Une Amérique ségrégationniste qu'elle ne supporte plus d'ailleurs et qu'elle surnomme "United Snakes of America". Elle erre entre la Barbade, le Liberia, la Suisse, les Pays-Bas, avant de s'installer définitivement en France. Bipolaire, marquée par la violence de son enfance, elle a des crises nerveuses, des crises d'angoisse, on doit parfois l'interner. Elle continue à chanter et jouer mais vit sur sa gloire, immense, et n'a plus l'envie créatrice d'autrefois, se décrivant comme "une écolière paumée". Elle meurt en 2003 d'un cancer du sein. Selon ses dernières volontés, elle est incinérée et ses cendres dispersés dans plusieurs pays africains.

J'ai pu discuter avec quelqu'un qui l'a connu et accompagné sur une tournée française... D'après les anecdotes de cette personne, Nina était, hum, disons assez destroy en effet. Musicalement, j'ai l'impression qu'elle était plus éclectique que la plupart des autres chanteuses de jazz, mais ce serait à vérifier. Et j'apprécie que sa voix soit assez typée, reconnaissable.

Pour moi, elle avait la rage, une violence en elle qu'elle tentait peut-être d'exorciser par la musique. Elle se rêvait en compositeur de musique classique, le fait de n'avoir pas pu accéder aux études classiques, en partie par sa pauvreté et sa couleur de peau, l'a toujours profondément marqué. Elle a une énergie, une force, qui transparaît dans sa musique, dans son chant. Encore une fois, il faut écouter sa version de My way : elle prend une chanson un peu nostalgique, désabusée, sur le bilan d'une vie, au rythme lent et elle part en live, elle en donne une version pleine de punch, d'énergie. Ce n'est plus le type qui se retourne sur sa vie avec amusement et nostalgie, c'est la nana qui envoie tout chier, prête à gueuler "et je vous emmerde !"

Ce que j'apprécie aussi, c'est qu'elle improvisait constamment. A chaque concert, tu savais pas à quoi t'attendre, elle pouvait chanter la même chanson quatre soirs de suite et, à chaque fois, la chanter différemment. Et il faut rendre aussi hommage à ses musiciens, excellents. La grande Nina savait s'entourer.